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recommence à grands traits sur les historiens du genre humain tout entier l’étude critique qu’il a faite sur les historiographes de Florence. Qu’est-ce que ce grand art de l’histoire? comment l’esprit de l’homme s’y est-il élevé peu à peu ? quelles phases a-t-il parcourues dans la série des âges? On n’a pas encore fait pour les historiens ce qu’Aristote a si bien accompli pour les poètes, on n’a pas tracé la poétique de l’histoire; M. Gervinus s’est proposé ce problème. Ce livre est original et hardi; il est semé de vues ingénieuses, il est plein de vérités et d’erreurs, mais d’erreurs qui provoquent la pensée. Je signale surtout les linéamens de sa poétique. La base et en quelque sorte la matière première de l’histoire selon M. Gervinus, ce sont les chroniques d’une part, et de l’autre les mémoires. Des chroniques sortira l’histoire épique, l’histoire telle que l’ont comprise Hérodote chez les anciens, Jean de Müller chez les modernes; au contraire, l’histoire qui se soucie moins de conter les événemens que d’en montrer l’enchaînement et l’esprit, l’histoire pragmatique, comme les Allemands l’appellent, se rattachera plus intimement aux mémoires; c’est celle dont un des principaux types a été donné par Machiavel. L’histoire-chronique, dont les allures rappellent la marche de l’épopée, a brillé surtout chez les anciens; l’histoire pragmatique, qui a tant de rapports avec le drame, est le domaine particulier des modernes. Il y a dans tout cela des observations excellentes, bien que présentées sous une forme trop systématique. Hâtons-nous d’ajouter que le goût de la symétrie n’empêche pas la vie de circuler librement dans ce tableau de l’histoire universelle. Le style seulement est pédantesque; la pensée respire l’amour de l’action, et des exemples heureusement choisis éclairent et justifient la théorie de l’auteur.

Je n’en puis dire autant de la seconde partie de ce traité. Lorsque M. Gervinus en vient à définir la mission de l’historien, quand il résume à sa façon le caractère des peuples qui occupent le premier rang dans l’histoire, quand il établit à la place des divisions rerues une nouvelle distribution des âges, plus conforme, dit-il, à la marche providentielle du monde, c’est là que les paradoxes commencent, paradoxes vraiment inattendus et qui révèlent une passion singulière. M. Gervinus n’admet pas, par exemple, que la venue du Christ soit une époque décisive, et que cette date partage en deux moitiés distinctes les annales de la famille humaine. Adopter la naissance du Christ comme la fin de l’ancien monde et le point de départ du monde nouveau, c’est là, dit-il en son langage acerbe, c’est là un procédé très pieux et très commode; il est fâcheux que la raison le condamne. Et quelle est la théorie que la raison et l’histoire substituent à celle-là? Écoutez bien. — La date d’une rénovation dans