Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

complète en quelque sorte les vertus de la mère-patrie, et réalise dans l’action les instincts du génie allemand; de l’autre, il y a ces nations romanes, la France, l’Espagne, l’Italie, associées avec l’Allemagne et par leurs contrastes même à l’œuvre de la civilisation. Comment ne pas réunir ces ouvriers d’une même œuvre? comment ne pas étudier ces liens et ces contrastes?

L’Italie surtout a été si longtemps mêlée, et en de si tragiques péripéties, aux luttes, aux passions, aux catastrophes du saint empire, que son histoire est inséparable de l’histoire des nations germaniques. N’oublions pas que Dante était partisan de l’empereur, et que le grand érudit de l’Italie moderne, le restaurateur des études nationales, Muratori, osait dire, il y a cent ans, au risque de froisser l’orgueil de ses compatriotes : « Si vous voulez connaître toutes les sources de votre langue, étudiez mieux qu’on ne l’a fait jusqu’ici les langues des peuples du Nord. » Il ajoutait encore : « Vous trouvez sans doute qu’il est plus noble de tirer votre origine des Troyens, des Grecs et des Romains; c’est là une vieille folie, vetus insania est. » Et enfin, essayant de rassurer tout à fait la fierté aristocratique de sa race, il s’écriait avec un empressement et une naïveté qui font sourire : « Sachez que la nation germanique a été non-seulement de nos jours, mais dès les temps les plus reculés, une nation très noble, et Platon, dans le Cratyle, avait déjà prévenu les Grecs qu’ils auraient souvent à chercher dans les idiomes des peuples barbares l’origine de bien des mots de leur langue. Germanica natio, non nunc solum, sed et antiquissimis temporibus, nobilissima fuit. » Ces précautions qu’employait Muratori pour faire accepter les rapports littéraires de l’Italie et de l’Allemagne, ce n’est pas en parlant à l’Allemagne qu’on aurait besoin de s’en servir. Elle triomphe au contraire chaque fois qu’elle retrouve ainsi quelques traces de son action; Hegel, dans la philosophie de l’histoire, ne donne-t-il pas fièrement le nom de germanique à cette période du moyen âge qui est chrétienne avant toute chose? M. Gervinus, si peu sympathique à Hegel, accepte cet enthousiasme. Il marche comme un conquérant à travers les différens âges de l’ère moderne, et tous ses travaux tendent à prouver que l’Allemagne est le centre intellectuel du monde. Que d’excitations il puisera dans cette idée pour réveiller l’apathie politique de ses concitoyens ! Quelle autorité impérieuse il donnera à ses encouragemens ou à ses reproches !

Les premiers écrits de M. Gervinus attestent déjà cette inspiration, qui deviendra plus tard la pensée maîtresse de ses livres. Il publie en 1830 un précis de l’histoire des Anglo-Saxons, et en 1833 un recueil d’études sur l’Italie et l’Espagne. Les Anglo-Saxons, pour M. Gervinus, sont de hardis représentans de l’esprit germanique, et l’on devine avec quel mélange de joie et de regrets il met en lumière