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et modernes, presque tous les romanciers ont fait servir l’imagination à un but d’utilité morale. Pour d’autres nations, le vêtement sous lequel ces écrivains ont présenté les idées traditionnelles du devoir serait trop transparent et trop peu orné ; mais en Hollande, où l’on s’attache surtout au fond des choses, on sait gré au talent de ses aspirations vers le juste et l’honnête. La littérature néerlandaise est un arbre dont il faut encore moins rechercher le feuillage et les fleurs que les fruits. On peut sans crainte rapporter à l’influence de cette nourriture spirituelle une partie des bons sentimens qui distinguent et animent les unes envers les autres les différentes classes de la société. Grâce à l’intervention d’un principe intelligent, la vie de famille, quoique très forte, n’est point exclusive ; la charité entraîne l’homme à la vie sociale. La source de cette charité est dans l’éducation religieuse et dans les lectures. Cette circonstance tient peut-être à la constitution même de l’église protestante, dont les jeunes ministres sont généralement des hommes instruits, quelquefois même des poètes et des écrivains distingués. La gravité de leurs fonctions ne leur interdit point de se livrer aux œuvres de la fantaisie, mais ils apportent dans les arts d’agrément un peu de la lumière évangélique dont ils sont ou doivent être un jour les conducteurs naturels. Il ne faut pas oublier en effet que dans ce pays, où les sectes sont très nombreuses, l’influence chrétienne est restée debout, et a, pour ainsi dire, rencontré dans l’amour du prochain une sorte d’unité morale qui surnage au-dessus de la division des croyances et des formes religieuses.

La question de l’assistance publique chez les différens peuples civilisés se pose en quelque sorte avec un redoublement de gravité dans les temps difficiles où nous sommes. On a vu que le système de secours s’était formé dans la Néerlande, comme le sol lui-même, d’une série d’alluvions isolées. Entée sur le sentiment religieux et individuel ou sur l’association libre, dégagée de toute contrainte, responsable seulement de ses actes devant Dieu et devant les pauvres, la charité hollandaise n’en est pas moins très efficace. Il n’est peut-être pas d’état en Europe où, relativement à l’étendue et aux ressources de la population, une si forte masse d’aumônes descende des classes aisées vers les classes nécessiteuses. La lutte contre les eaux, la pêche, l’industrie des tourbières, nous ont montré ce qu’il y a de puissant chez la race batave ; l’étude de la bienfaisance publique nous découvre ce qu’il y a en elle de noble et de généreux. Ces deux points de vue sont inséparables. Les nations ne s’honorent pas moins par la bonté que par la grandeur et par la richesse.


ALPHONSE ESQUIROS.