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restent huit ou neuf années dans l’établissement. J’ai visité en outre un gymnase et des ateliers où les élèves des deux sexes reçoivent une éducation professionnelle couronnée par l’éducation religieuse. Tous les cultes ont droit de cité dans l’institution. Les catholiques et les protestans vivent sous le même régime ; les Juifs sont séparés. Cette séparation n’a qu’un motif, qui est de rendre plus facile l’accomplissement de certains rites et de certains usages. On observe que les sourds-muets Israélites ne sont pas les moins intelligens.

Une autre institution pour les sourds-muets, plus jeune et partant moins connue, s’élève dans la ville de Rotterdam : elle s’appuie sur le système allemand. Ce système mériterait de porter en Hollande un autre nom. Il y a plus d’un siècle qu’un Hollandais, Amman, avait jeté les bases d’une méthode pour l’enseignement de la parole aux sourds-muets. Prenant son point de départ dans l’alphabet hébreu, qu’il croyait être la base de tous les autres alphabets, il avait entrepris de fixer par des figures les mouvemens de la langue, et, si l’on veut, la configuration du son. Cet art de daguerréotyper la parole fut un instant refoulé par les succès du langage mimique ; aujourd’hui on y revient. En 1853, une assemblée se tint à Rotterdam ; la régénération morale du sourd-muet par l’enseignement de la parole articulée y fut chaudement débattue, et la même année une école s’ouvrit. L’instruction mécanique de la parole doit commencer à un âge très tendre. L’instinct d’imitation, qui est si vif chez les enfans, contribue à vaincre les difficultés que rencontre chez le sourd-muet l’organe de la voix. Cet organe est intact ; seulement il reste comme assoupi, n’étant ni dirigé, ni averti par l’oreille. Pour le stimuler, on habitue les yeux du sourd-muet à lire et en quelque sorte à entendre la parole sur les lèvres ; on lui fait, si l’on peut ainsi dire, toucher avec la main les mouvemens de la voix dans le gosier ; on développe par une gymnastique incessante les moyens d’articulation qui sont enchaînés par la privation de l’ouïe. Cette parole artificielle devient si familière à quelques élèves, elle passe tellement chez eux à l’état de seconde nature, qu’ils articulent même en sommeillant. Les sourds-parlans perdent peu à peu l’habitude de gesticuler. La peine qu’ils se donnent pour épier le mouvement des lèvres les arrarache à cet état de torpeur qui est le caractère de l’infirmité. L’œil étant chez eux le réceptacle et le conducteur du son, ils s’intéressent même aux accens d’une langue étrangère, qui trace pour eux sur les lèvres des hiéroglyphes fugitifs et indéchiffrables. Des deux méthodes représentées en Hollande par deux établissemens distincts, chacune a sa raison d’être ; seulement on ne peut méconnaître que le sourd-muet ne témoigne beaucoup plus de goût et d’affinité pour le langage des signes que pour le langage mécanique.