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de la grande école historique du xixe siècle. Si l’on considère qu’il a été conduit à cette savante ; méthode de 1700 à 1808, c’est-à-dire dans un temps où aucun des travaux de la critique contemporaine n’avait encore paru, et lorsqu’un esprit tout différent régnnait dans l’histoire, l’admiration s’ajoutera à la surprise ; il vous semblera peut-être que de pareils travaux n’ont pu être achevés sans quelque dessein de la Providence sur le peuple pour lequel ils ont été entrepris. Et ce n’est là qu’une partie de l’œuvre de Sincaï ; car il avait joint à son ouvrage ce qu’il appelait la moelle des historiens, trente volumes recueillis çà et là de chroniques, de pièces officielles, de documens dont il avait commenté le texte, et qui étaient comme le fondement et la source de son vaste récit. Il avait fait pour la Roumanie ce que Muratori a fait pour l’Italie, les bénédictins pour la France, et ce qui manque encore à plus d’une nation orgueilleuse de son passé et de son présent. Qu’est devenue cette immense collection ? Quelle main l’a soustraite à tous les yeux ? quel est celui qui a intérêt à ce que le trésor de toute une race d’hommes soit perdu pour l’histoire, c’est-à-dire pour la civilisation ? Ce n’est pas ici le lieu de le rechercher ; il suffira de dire que l’on s’est trompé, si l’on a voulu enlever à une race d’hommes avec ses titres sa place au soleil. Dans ce cas, c’est l’ouvrage même de Sincaï qu’il fallait supprimer. Tel qu’il est, il vivra dans sa construction massive, et tant qu’il subsistera, ce sera une base inébranlable sur laquelle peut s’asseoir sans crainte la société roumaine.

II. — étienne le grand et michel le brave.

Le moment où les Roumains reparaissent dans le monde moderne n’est pas assurément sans quelque grandeur. Après que l’on a perdu de vue les chefs de leurs trente-cinq forteresses, tantôt engloutis comme patrices dans l’empire de Byzance, tantôt alliés à l’empire de Bulgarie, viennent les invasions tartares, mongoles. À peine les Mongols se retirent, on voit au sein de ces mêmes colonies oubliées que j’ai décrites[1] la race latine surgir et quitter ses abris, un essaim d’hommes se former entre les ruines d’Apulum, de Parolissa, d’Ulpia Trajana, s’aventurer peu à peu sur les vieilles voies romaines, en suivre les vestiges, descendre des hauteurs boisées, se risquer au pied des Carpathes, s’avancer dans les plaines, à mesure que la terre semble déserte, y rencontrer des hommes de la même race qui y arrivent par des chemins plus rapides, ou qui peut-être n’en étaient jamais sortis, et tons ensemble, changés, altérés par le travail du temps, par d’autres croyances, un autre culte,

  1. Revue du 15 janvier dernier.