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substance masque les réactions du glycose, et elle existe toujours dans le sang. Il faut la détruire avant de chercher le sucre, qu’on ne peut trouver que quand elle a disparu. C’est une précaution que M. Bernard n’a jamais prise, et toutes ses analyses du sang sont entachées d’erreur. Il a trouvé du sucre dans la veine-cave et les veines hépatiques, seulement parce que là il n’y a pas d’albumine : il n’en a pas trouvé dans la veine-porte ou dans le cœur, parce que là la composition du sang n’est plus la même; mais la présence réelle du glycose n’a jamais eu d’influence sur le résultat de ses analyses. Enfin les précautions qu’il prenait pour ne pas administrer du sucre ou des féculens aux animaux étaient inutiles, puisque toute chair en contient une petite quantité qui, en s’accumulant dans le foie, où elle n’est plus masquée par l’albuminose, produit les réactions évidentes qui sont le fondement de sa théorie.

Les conclusions du mémoire de M. Figuier étaient hardies et ses expériences redoutables. Dans les premiers temps, les partisans de la fonction glycogénique essayèrent d’en nier l’importance, et surtout critiquèrent les conditions des observations. Ainsi, et il faut le reconnaître, quelque opinion que l’on ait, les expériences nouvelles n’étaient pas exposées avec assez de détail et de précision. Le sang analysé avait été pris aux abattoirs, et là, pour saigner les bœufs assommés, le boucher enfonce un couteau jusque dans l’oreillette droite; le sang qui s’écoule vient donc en partie des veines hépatiques. De plus, pour faire dégorger le sang, on appuie le pied dans la région du foie, et le sang de cet organe se mêle aussitôt à celui de la circulation générale; les efforts de l’animal égorgé sont très violens, et M. Bernard a déjà remarqué que dans les agonies douloureuses le sang du corps tout entier est sucré, parce que les contractions du diaphragme compriment le foie. Enfin on sait aussi que lorsqu’on tue un animal par hémorrhagie, les dernières palettes de sang sont toujours sucrées, tandis que les premières ne le sont pas. Pourtant, malgré ces objections, les mémoires de M. Figuier et de M. Longet firent une certaine sensation, et l’Académie des Sciences fut saisie de la question. Une commission fut nommée, qui s’occupa surtout du point de vue chimique, et dans la séance du 18 juin 1855 le rapporteur objecta seulement à la théorie de M. Figuier que, puisque le sel de cuivre ou liquide de Frommerts n’indiquait pas toujours la présence du sucre, le contraire pouvait avoir lieu, et qu’il n’était pas impossible qu’une réaction se manifestât même sans glycose. On n’avait pas plus droit d’affirmer la présence du sucre au nom du réactif que, d’après M. Figuier, on n’avait celui de la nier. L’auteur fut donc invité à faire des recherches plus directes et à employer un procédé dont M. Bernard s’est toujours servi, la fermentation.