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scientifiques modernes qui plaît aux gens du monde par sa clarté, aux savans par son exactitude. Peut-être, au moment d’exposer la découverte de M, Bernard, M, Figuier a-t-il pensé qu’elle n’avait pas subi assez d’épreuves, et qu’une théorie ainsi inattaquée était loin d’être inattaquable. Il a voulu semer quelques épines sur le chemin que suivait M. Bernard pour arriver à la vérité. M. Figuier d’ailleurs a le bonheur de croire aux théories, et il lui répugnait d’admettre sans contestation une découverte si contraire à toutes les idées reçues. — Comment ! se disait-il, on a cru depuis tant d’années que les animaux ne peuvent faire de l’albumine ou de la fibrine, qui leur est si nécessaire? C’est là le résultat le plus clair des travaux de M. Liebig et en général de tous les expérimentateurs de notre temps, et nous admettrions sans nous révolter que le foie peut produire une substance si spéciale, si compliquée, si inutile ! Une sécrétion de cette importance aurait si longtemps échappé à tous les yeux, et la cause finale du foie ne serait pas de faire de la bile! Bien plus, le foie peut-être n’aurait pas de cause finale, car d’admettre que pour naître, vivre et se nourrir, il faut être sucré, cela est impossible. Enfin l’organisation produirait sans cesse et sans arrêt une substance destinée à être aussitôt détruite on ne sait où et on ne sait comment! Que deviennent alors les belles relations qu’a établies la science moderne entre le règne végétal et le règne animal? Que deviennent ces beaux travaux qui ont assimilé les principes immédiats des animaux à ceux des plantes, et qui ont démontré que là où finit la vie végétale, la vie animale commence, que les végétaux puisent dans la terre et chez les minéraux leur nourriture que plus tard les animaux viennent prendre chez eux ? Rien ne se tient plus alors dans la nature. Les règnes différens ne sont plus créés les uns pour les autres, les hommes peuvent vivre sans animaux, ceux-ci pourraient subsister sans plantes, et tout n’est plus arrangé le mieux du monde pour le plus grand bien de chacun et l’existence la plus simple et la plus facile. En un mot, la chimie, la physiologie et la philosophie même semblaient à M. Figuier contredire les découvertes de M. Bernard.

Faut-il, pour arriver à la vérité, pour découvrir une loi naturelle, avoir un parti pris d’avance et tenter de rapporter à une opinion préconçue tous les phénomènes observés? Faut-il au contraire travailler au hasard et découvrir des faits qui plus tard servent à établir une théorie? C’est là sans doute une grave question. Avec un parti pris et une opinion faite, on sait tirer d’une découverte une foule de conséquences souvent ingénieuses et parfois même vraies; on peut être conduit à des conclusions et à des découvertes nouvelles; on sait même parfois rectifier par le raisonnement les résultats obtenus par l’observation, et l’on recommence sans cesse