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quelques maladies s’y retrouvent après la mort, même lorsque la médication a depuis longtemps cessé. Bien plus, nous avalons sans cesse dans les alimens des parcelles imperceptibles de cuivre, de fer, d’étain ou d’argent détachés des casseroles ou de la vaisselle. Toutes ces parcelles arrivent dans le foie, portées par le sang qui les dissout; mais, au lieu de le traverser, elles s’y accumulent. Eût-on par exemple avalé une fois dans sa vie même une faible dose d’arsenic par ordonnance du médecin ou autrement, cet arsenic n’est pas expulsé du corps, mais reste dans le foie, où les réactifs peuvent le déceler encore après dix ou vingt ans. C’est dans cet organe que M. Flandin recommande d’aller chercher après la mort les substances vénéneuses et il a raison. L’arsenic, les sels de cuivre et de plomb, comme le vert-de-gris ou la céruse, demeurent dans le foie après avoir disparu depuis longtemps de l’estomac ou des intestins. Cette faculté du foie, souvent fort utile, a nui souvent aussi aux résultats des recherches de la médecine légale, et l’on se souvient peut-être que dans le procès de Mme Lafarge les juges furent ébranlés dans leur conviction lorsqu’on leur affirma ce fait, bien établi, qu’il suffit d’avoir une fois dans sa vie absorbé une dose quelconque d’arsenic pour que le foie en contienne, et qu’ainsi il n’est peut-être pas d’homme au monde vivant de la vie civilisée, c’est-à-dire mangeant avec des fourchettes des viandes cuites dans des casseroles métalliques, dont le foie ne renferme des quantités très appréciables d’arsenic, de cuivre et d’argent. Pour lever tous les doutes, il fallut montrer la proportion énorme de poison que renfermait la victime. Pourquoi ce que l’on sait des métaux ne serait-il pas aussi vrai du glycose? Pourquoi tout ce que nos alimens renferment de matières sucrées ou féculentes ne viendrait-il pas s’accumuler dans le foie et tromper l’observateur? Dans ce cas, les expériences de M. Bernard nous apprendraient seulement que le foie se comporte à l’égard du sucre connue envers le fer, l’arsenic, le zinc et le cuivre, et l’intérêt en serait fort diminué. À cette objection il y a plusieurs réponses excellentes. D’abord ce n’est pas seulement dans le foie qu’on trouve le glycose, les veines hépatiques en contiennent. Le sang qu’elles conduisent en enlève donc sans cesse au foie, qu’il lave pour ainsi dire à chaque instant, et la quantité de sucre qu’elles emportent est très évidemment supérieure à celle qui arrive de l’estomac sous la forme de sucre ou sous la forme peu différente d’amidon, de fécule ou de dextrine. Ce sang au contraire ne contient aucun des métaux que le foie a la propriété singulière de retenir. De plus, le sucre est le plus altérable de tous les corps. La fermentation, la chaleur, les acides, les alcalis le décomposent et le transforment. Comment supposer qu’il puisse rester immuable dans le foie, c’est-à-dire dans