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opération de triage qui se passe chez les animaux. Les plantes prennent dans la terre les corps simples pour faire de l’albumine, de la fibrine et de la caséine. Les animaux ne créent le sang que sous le rapport de la forme, mais ils n’en sauraient produire, s’ils se nourrissaient avec des substances qui n’en contiendraient pas les principes constitutifs. Pour les corps simples, cela est clair, mais cela est vrai et curieux pour certains composés eux-mêmes. L’animal fait avec ces composés ce que la plante a fait avec les élémens. Lorsque les plantes ont produit ces principes, alors commence la vie de l’homme. La fibrine est du gluten, la caséine est de la légumine, et l’albumine du sang est de l’albumine végétale. Un exemple rend cela bien frappant : les Chinois extraient la légumine que contiennent les pois par la cuisson, la traitent comme on fait la caséine du lait, et font un fromage identique pour sa composition, son goût et ses propriétés au fromage ordinaire.

Cette explication a suffi sans doute pour montrer qu’une objection grave se présentait tout d’abord à M. Bernard. S’il croyait, comme tous les chimistes, que les animaux ne peuvent produire eux-mêmes leurs principes immédiats, il devait penser qu’ils ne devaient pas plus faire du sucre que de la fibrine et de l’albumine, et son expérience attaquait du même coup les principes de la physiologie et de la chimie. Lorsqu’on trouvait autrefois dans des cas particuliers du sucre dans l’économie, on l’attribuait à la transformation de la fécule ou de l’amidon des alimens, transformation que la chaleur seule suffit à produire; mais personne n’avait songé à le croire formé de toutes pièces. Le fait était donc important à vérifier, et il fallut se garder avec soin de toutes les causes d’erreur. Le glycose pouvait provenir des alimens, et le foie n’avait alors que la propriété de transformer la fécule et peut-être aussi d’accumuler le sucre, comme il accumule souvent les substances minérales ingérées et en particulier les poisons. M. Bernard a analysé avec soin la viande dont il nourrissait ses chiens (c’était de la tête de veau cuite), et n’y a jamais trouvé la moindre trace ni de matière sucrée, ni de substances féculentes ou autres capables d’être transformées, par les procédés digestifs ou chimiques ordinaires, en sucre. Pourtant il a vu que le sang du foie d’un Carnivore contient toujours autant de glycose que celui qui sort du foie d’un herbivore. Le glycose trouvé ne venait donc pas des alimens. Les expériences ont été variées et répétées maintes fois, et toujours le même résultat s’est présenté.

La découverte se répandit bientôt, et M. Bernard eut en 1850 le prix de physiologie expérimentale décerné par l’Académie des Sciences. Il put alors faire des expériences sur les foies humains. Il fallait, bien entendu, opérer sur des hommes morts en bonne santé,