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Charles XII donc, le héros de la Suède contre la Russie, est représenté dans cette série de souvenirs par les récits d’Holofzin et de Narva, et par quelques poésies détachées. C’est sans doute parce qu’il est su par cœur dans toutes les parties de la Suède que l’éditeur n’a pas inséré le beau morceau de Tegner, belle, simple et vivante poésie :

Kung Carl, den unga hjelte,
Han stod i roek och dam ;
..........

« Le roi Charles, le jeune héros, il est debout au milieu de la fumée et de la poussière. Il tire son épée du fourreau et il s’élance dans la mêlée. — Voyons, s’écrie-il, voyons s’il mord bien, l’acier suédois ! Hors d’ici, Moscovites, et courage, mes garçons bleus ! — Dans sa colère, un contre dix, il les engage, le glorieux fils des Vasas. Les Russes tombent ou prennent la fuite, et c’est là son coup d’essai. Trois rois ensemble n’ont pas dicté au jeune roi leur volonté. Tranquille il résiste à l’Europe, imberbe dieu de la foudre… »

Ce souvenir du roi Charles, présent au cœur de tous les Suédois, et l’un de ceux qui s’élèvent comme d’infranchissables barrières, quelques efforts qu’on ait pu tenter, entre la Russie et la Suède, un poète contemporain vient de l’évoquer récemment avec une certaine énergie en saluant de ses rimes improvisées l’arrivée du général Canrobert : « … Héros de l’Alma, dit-il, d’un courage et d’une force d’âme antiques, sois le bien-venu ! Nous aussi, nous détestons le nom russe. Comme la France, nous trouverons dans notre passé de grandes leçons. Nous avons, nous aussi, notre campagne de Russie à venger. »

Aussi bien que Charles XII, Gustave III, l’ami déclaré de la France, le correspondant spirituel de Marmontel et de Voltaire, de Mme de Staël, de Mme de Boufflers et de Mme d’Egmont, a combattu la Russie. La journée d’Hogland, restée populaire, consacre ce souvenir.

D’ailleurs la mémoire des batailles n’est pas la seule que ce petit livre invoque. Celle des perfidies de la diplomatie ou de la police moscovite y prend aussi sa place. Ou y trouve par exemple la narration du meurtre de ce malheureux Malcolm Sinclair, qui, chargé par le gouvernement suédois d’aller à Constantinople liquider les dettes laissées par Charles XII et porter au divan des instructions secrètes relatives à la politique du cabinet de Saint-Pétersbourg, fut assassiné dans un bois près de Naumbourg en Silésie, le 17 juin 1739, par des officiers russes. Il était accompagné d’un marchand français nommé Couturier, à qui les meurtriers, en le rassurant, expliquèrent en mauvais latin le motif de sa mort : Ne timeas ! Peccatum esset contra Spiritum Sanctum male facere viro probo sicut te (sic). Iste habuit quod merebat ; erat enim inimicus magistri ; inimicus magistri est inimicus Dei, et puto nos non peccasse interficiendo eum. Ce mélange de superstition et de crime, cette insulte manifeste au droit des gens, au respect des nations, firent en Suède une vive impression sur les esprits. Cent preuves confirmèrent les premiers soupçons qui s’étaient élevés contre la Russie, et cet acte de brigandage devint le motif de nombreux chants populaires en Suède, même en Angleterre et en Allemagne, qui ranimèrent les haines nationales contre les Russes.