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regret d’avoir à déposer les armes au moment où elle sentait ses forces croître en quelque façon, et où elle pensait être en mesure de frapper des coups terribles dans la Baltique. D’ailleurs les Anglais ont plus que nous les regards tournés vers l’Asie, et la chute de Kars, bien que retardée par l’héroïsme d’un de leurs généraux, n’est point sans avoir laissé une impression très vive. À travers tout enfin, on distingue toujours une sorte de besoin secret de relever le lustre des armes anglaises, comme si l’armée britannique n’avait point montré ses grandes et fortes qualités dans cette longue et rude campagne de Crimée. Par tous ces motifs, l’Angleterre eût continué la guerre sans peine, cela n’est point douteux : sauf le parti plus spécialement et plus exclusivement acquis à la paix, la plupart des orateurs l’ont avoué sans peine ; mais si l’Angleterre est toute prête à continuer la guerre, ce n’est pas une raison pour qu’elle la prolonge, si elle devient inutile. Aussi lord Palmerston et lord Clarendon ont-il mis une entière netteté dans leurs déclarations ; ils n’ont point hésité un seul instant à décliner toute pensée hostile aux négociations. Ce qu’il y a de remarquable dans ces premiers débats du parlement anglais, c’est l’attitude de tous les partis. Que la guerre doive continuer ou que la paix soit prochainement conclue, il n’est point certain que dans l’un ou l’autre cas lord Palmerston parvienne à se maintenir au pouvoir ; il aura tout au moins à surmonter d’immenses difficultés. Tous les partis cependant se sont renfermés dans le silence et la réserve en présence d’une négociation où un grand intérêt public est engagé : rare et digne spectacle offert par un pays libre, qui met son honneur et son patriotisme à se contenir pour ne point créer à son gouvernement l’embarras de discussions irritantes et de dissentimens qui pourraient énerver ou égarer son action ! Au fond, on peut dire que le gouvernement anglais est aussi disposé à la paix aujourd’hui que toutes les puissances qui vont entrer dans les négociations. Les conditions auxquelles il a souscrit, il les maintiendra dans leur modération ; mais il n’en laissera ni diminuer ni affaiblir la portée, et sous ce rapport l’Angleterre et la France n"ont qu’une même pensée, celle d’une paix fondée sur de sérieuses et fortes garanties.

Ce congrès, dont les délibérations vont s’ouvrir, présentera un fait singulier et caractéristique : c’est l’alliance de la France, de l’Angleterre et de l’Autriche, rapprochées sur le terrain d’une défense commune et prêtes à signer ensemble la paix avec la Russie ou à continuer ensemble la guerre. En présence de ce fait, il est impossible de ne point se rappeler une autre circonstance de l’histoire diplomatique de l’Europe. En 1815 aussi, au lendemain des gigantesques luttes de l’empire et de la chute de Napoléon, la France, l’Angleterre et l’Autriche se trouvaient conduites à conclure le 3 janvier un traité assez semblable à celui qu’elles ont signé l’an dernier le 2 décembre. Ce traité, qui devait rester secret, n’eut aucune suite ; il fut même communiqué pendant les cent jours à l’empereur Alexandre, contre lequel il était dirigé. Quarante ans plus tard, la même alliance s’est renouée, tant il est vrai qu’elle était dans la nature des choses, et qu’elle représentait la seule force capable de lutter contre un danger qu’on entrevoyait déjà dans ce premier instant ! Au lendemain de coalitions de toute sorte, on déposait le germe