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politique vacillante et timide. Quelle est la pensée dernière du roi Frédéric-Guillaume ? Il serait difficile de le dire à coup sûr. La Prusse avait encore une occasion de préparer sa rentrée dans le concert de l’Europe, en s’appropriant les propositions autrichiennes ; mais il y avait quelques obligations éventuelles à contracter, et au lieu d’entrer par une porte qui lui eût été facilement ouverte, le cabinet de Berlin semble mettre tous ses efforts à la fermer de plus en plus ; il emploie tout son zèle à peser en Allemagne pour empêcher la diète de souscrire aux propositions de l’Autriche. Qu’en peut-il résulter ? Si la Prusse doit être appelée, comme signataire du traité de 1841, à participer aux négociations, ce ne peut être qu’au dernier moment, quand les grandes questions seront résolues. Acceptera-t-elle dans ces conditions ? Sa fierté de grande puissance ne s’en trouvera pas très rehaussée sans doute. Et d’un autre côté, si on considère ce que la Prusse a fait à l’appui de ses engagemens antérieurs, quel poids sa signature peut-elle ajouter aux transactions destinées à clore la crise actuelle ?

Ce qu’il y a de plus clair jusqu’ici, c’est que le congrès paraît devoir s’ouvrir en l’absence de toute représentation de la Prusse. Du reste, il est dans l’esprit et dans le vœu de tous les gouvernemens d’arriver rapidement à une solution, dès que les conférences auront commencé. Seulement ici peut se réaliser ce que nous disions des difficultés possibles des négociations. Dans tous les cas, les délibérations du congrès ne dureront pas moins d’un mois certainement. Ce n’est point un trop long espace de temps quand on songe aux immenses problèmes qui seront abordés, et dont la solution doit être le fondement même de la paix. La plus grave question qui se présentera au premier abord, et qui peut devenir un écueil, paraît devoir être celle du règlement des frontières à l’embouchure du Danube et de l’organisation des principautés. C’est là peut-être qu’on pourra le mieux apprécier les dispositions véritables de la Russie, l’esprit qui a dicté ses récentes concessions. Bien que la neutralisation de la Mer-Noire semble un point universellement accepté et mis hors de tout débat, l’application du principe ne sera pas moins épineuse. Quant à ce qui touche à l’état des populations chrétiennes de l’Orient, la question arrivera au congrès à peu près résolue, théoriquement du moins. On sait en effet que des conférences ont été ouvertes à Contantinople entre les représentans de la France, de l’Angleterre, de l’Autriche et de la Porte, pour délibérer sur les moyens d’améliorer la situation des chrétiens. Ces conférences, dont les travaux laissaient entièrement intacte l’autorité du sultan, ont eu un résultat : elles ont produit un projet auquel il ne manque que la sanction définitive de l’empereur ottoman pour devenir mi hatti-chériff, et le hatti-chériff ne peut tarder à être publié. Le projet élaboré dans les conférences de Constantinople consacre la liberté pleine et entière des cultes, la faculté de construire et de réparer des églises dans toutes les parties de l’empire, la réforme des abus qui se sont glissés dans l’administration des patriarches, l’admissibilité des chrétiens à tous les emplois, la création de tribunaux mixtes pour juger les contestations entre musulmans et rayas, le droit des chrétiens à témoigner devant la justice turque. C’est, comme on voit, tout un ensemble de réformes qui garantissent aux populations chrétiennes des avantages que la Russie n’eût point