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l’on se décidait à la couler en bronze, je crois qu’on ne tarderait pas à s’en repentir. Malgré les dépenses déjà faites, il est encore temps d’aviser, et j’espère qu’on n’ira pas plus loin.

En face de cette statue, qui obtient une improbation unanime, une question se présente que je ne puis éluder, et qui n’est pas facile à résoudre : d’après quels principes l’administration doit-elle se décider lorsqu’il s’agit de choisir un sculpteur ou un peintre pour l’exécution d’un travail important ? En appelant M. Clésinger, il est hors de doute qu’elle s’est trompée. Cependant il est certain que son choix s’explique par la popularité du nom qu’elle avait préféré. Comment à l’avenir pourra-t-elle se mettre à l’abri de pareilles déceptions ? Bien habile serait celui qui lui donnerait une recette infaillible pour prévenir tout mécompte. Il y a pourtant quelques précautions à prendre qui réduisent le nombre des chances malheureuses. Je n’entends pas supprimer les recommandations : quelle que soit la forme du gouvernement, les recommandations interviendront toujours ; mais je voudrais que les bureaux qui distribuent les travaux fussent défendus contre l’action dangereuse des apostilles, je voudrais qu’ils s’entourassent de conseils désintéressés. Quand il s’agit d’un monument qui doit attester aux générations futures le bon goût ou le goût dépravé de notre temps, la prudence n’est pas superflue. En pareil cas, l’administration, au lieu d’écouter docilement l’opinion populaire, doit s’imposer le devoir de la contrôler, car ceux qui ont accepté, qui ont suivi aveuglément cette opinion, sont les premiers à se plaindre, quand l’administration est déçue dans son espérance. Délivrés tout à coup de leur engouement, ils dédaignent ce qu’ils ont adoré, comme ils adoreront demain ce qu’ils dédaignent aujourd’hui. L’administration, en raison même des fonctions qui lui sont dévolues, doit dominer cette inconstance de l’opinion populaire. Il faut qu’elle étudie par elle-même ou qu’elle fasse étudier par des hommes spéciaux les transformations, les défaillances, les déviations, les progrès de la sculpture et de la peinture, afin de choisir, le cas échéant, des artistes capables de justifier la confiance ou de mériter l’approbation publique. Je ne propose pas de rétablir le concours, je sais trop bien que cette méthode a trompé l’espérance de ses plus fervens approbateurs : c’est au concours que nous devons le fronton de la Mideleine et le tombeau de Napoléon ; sans le concours, nous aurions peut-être évité MM. Lemaire et Visconti. La mesure que j’indique n’est pas d’une application aussi difficile qu’on pourrait le croire. Il suffirait de consulter ceux qui connaissent les antécédens des peintres et des sculpteurs de notre temps, et d’estimer l’aptitude des artistes pour un travail projeté d’après les œuvres qu’ils ont déjà soumises au contrôle de l’opinion. La plus sûre manière de prévenir les recommandations, ou du moins d’en atténuer le danger, serait de ne pas révéler le nom des conseillers dont on réclamerait l’assistance. Il serait impossible d’éviter les indiscrétions, je ne l’ignore pas ; cependant j’aime à penser qu’en suivant cette méthode on arriverait à décorer Paris de monumens plus heureusement conçus, plus habilement exécutés que la statue de François Ier. Je ne considère pas l’impartialité en pareille matière comme un rêve d’enfant. Sans prétendre à la sagacité souveraine de Salomon, l’administration peut choisir des hommes