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des sculpteurs se réduit à Fimitation de la nature, et je demande si M. Clésinger, en modelant la statue de François Ier, a réalisé cette condition unique et suprême. Qu’on me prouve qu’il a t’ait un vrai cavalier, un vrai cheval, et je me résigne à l’admiration. Malgré mes vieux scrupules, malgré la part que j’ai toujours attribuée à l’invention dans les arts du dessin, je consentirai à voir dans l’auteur de cette statue un maître habile, digne de l’attention et des encouragemens non-seulement de la France, mais de l’Europe entière. Si l’on vient me dire que l’Allemagne et l’Angleterre se dijpulent son ciseau, je ne m’en étonnerai pas ; que l’Italie regrette amèrement de ne pas le compter au nombre de ses enfans, je compatirai à sa douleur. Mais qui oserait affirmer la vérité du cavalier, la vérité du cheval ? Parmi les spectateurs étrangers aux querelles d’école, qui n’ont jamais songé à prendre parti pour l’nivention ou pour l’imitation, impartiaux et désintéressés par conséquent, les uns trouvent que le cavalier n’est pas en selle, qu’il n’a pas son cheval dans la main ; les autres, que le cheval n’est pas possible, que l’avanttrain et l’arrière-train ne s’accordent pas, que les cuisses sont trop grosses pour les épaules. En examinant froidement la valeur de ces reproches, on arrive à reconnaître qu’ils ne sont pas dépourvus de fondement. Ainsi M. Clésinger est condamné par la doctrine même qu’il professe. S’il faut en croire ses admirateurs, et je les tiens pour bien informés, il n’a rien tenté, rien voulu au-delà de l’imitation. A-t-il réussi dans l’accomplissement de son projet ? Si je consulte l’impression produite par son œuvre, je suis obligé de dire non. Comme je le juge au nom du principe qu’il a posé, auquel il attribue le mérite de la nouveauté, il aurait mauvaise grâce à se plaindre. Pour blâmer sa statue, j’ai consenti à négliger les exemples fournis par l’antiquité ; la nature seule m’a servi de guide. Je ne cherchais dans la statue de François Ier que l’exactitude, la fidélité scrupuleuse de l’imitation. Mon espérance déçue, faut-il s’étonner que mon désappointement se traduise en paroles sévères ? J’ai bien voulu, pour estimer l’œuvre nouvelle de M. Clésinger, me placer à son point de vue, et faire abstraction d’une doctrine qui n’est pas la sienne et que je crois vraie. Cette seconde épreuve n’a pas été pour lui plus heureuse que la première.

Mais, diront les iiartisans exclusifs de l’imitation, lors même que vous auriez démontré l’infidélité que vous affirmez et qui ne frappe pas nos yeux, auriez-vous réfuté la doctrine que nous soutenons ? L’auteur de cette statue, que vous épluchez avec tant d’obstination, n’a pas fait tout ca qu’il voulait, tout ce qu’il espérait faire : est-ce une raison pour condamner en même temps son œuvre et son espérance ? Lors même que le premier point vous serait acquis, sur le second la discussion resterait ouverte. — Et cette réponse n’est pas une pure invention. L’argument n’est pas imaginé pour les besoins de la cause. Eh bien ! je dis que les épreuves, en se multipliant, ne laisseront aucun doute sur la puérilité de la doctrine que je combats. La main la plus habile ne remplacera jamais le travail de la pensée. Quand l’artiste, en face de la nature, comprend qu’il ne peut lutter avec elle, qu’il doit renoncer à la copier littéralement, quand il profite du témoignage de ses yeux en y ajoutant les fruits de la méditation, — si la tâche qu’il se propose est difficile, elle n’est pas au-dessus de ses forces. S’il