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bon droit considérée comme une témérité, sinon des plus heureuses, au moins des plus singulières. Il a fait certainement ce que personne n’avait fait avant lui. Reste à savoir si c’est là le but que l’art doit se proposer. Que l’invention soit le premier devoir de tous ceux qui veulent émouvoir et charmer, je l’ai toujours pensé ; qu’il soit permis d’inventer sans tenir compte de la destination assignée à l’œuvre qu’on exécute, je l’ai toujours nié, et je crois que mon avis trouvera de nombreux approbateurs. Si je me trompe, j’ai du moins pour moi la Grèce et l’Italie, dont l’autorité n’est pas sans quelque poids en pareille matière. Je n’ai pas la prétention de résoudre par moi-même tous les problèmes qui relèvent du goût, mais une telle autorité me confirme dans mon opinion.

À quoi bon invoquer le témoignage du passé ? M. Clésinger ne s’en inquiète guère, et ceux qui l’admirent partagent à cet égard son indifférence. Il y a aujourd’hui parmi les sculpteurs, comme parmi les peintres, une classe nombreuse d’esprits étourdis par la louange, égarés par l’orgueil, qui croient de bonne foi avoir découvert le secret de leur profession, et qui parlent du passé avec un dédain très sincère. Ces hardis inventeurs, qui se prennent au sérieux, n’écoutent jamais sans sourire l’éloge de l’art grec ou romain. C’est à peine si la renaissance trouve grâce à leurs yeux. Les révélations de leurs panégyristes nous ont édifiés sur la valeur de cette merveilleuse découverte. Il s’agit tout simplement de copier ce qu’on voit, rien de moins, rien de plus. C’est une recette souveraine pour éblouir ses contemporains et transmettre son nom à la postérité la plus reculée. Les anciens ont fait fausse route. Comment en douter ? On chercherait vainement dans leurs œuvres la copie exacte du modèle vivant. Ils n’avaient pas deviné le grand secret qui fait tant de bruit de nos jours ; ils croyaient ingénument à la nécessité d’inventer ; ils ne pensaient pas que le travail du statuaire ou du peintre dût se réduire à copier ce que l’œil a vu. Ils s’imposaient une tâche plus difficile, et pour eux l’habileté de la main n’était pas le terme suprême. Ils se trompaient, la chose est aujourd’hui démontrée ; il ne faut ni s’en étonner, ni leur en vouloir. À l’époque où ils vivaient, l’intelligence humaine n’était pas assez puissante pour poser nettement le problème résolu sous nos yeux. Ils méritent l’indulgence, et se montrer sévère serait méconnaître l’action du temps sur le développement des idées. En sculpture et en peinture, il est désormais avéré qu’il s’agit d’imiter la nature. Plus l’imitation sera fidèle, plus la gloire sera grande. Quiconque se permettra de rêver quelque chose au-delà de l’imitation sera déclaré aveugle, inintelligent, incapable de se prononcer sur les qualités ou les défauts d’une figure peinte ou modelée. Cette doctrine, malgré les nombreux adeptes qu’elle a déjà recrutés, n’a pas encore imposé silence à toutes les objections, mais elle grandit, elle s’affermit de jour en jour, et bientôt il ne sera plus permis d’en parler qu’avec un profond respect. En attendant qu’elle soit déclarée infaillible, nous croyons utile de l’appliquer dans toute sa rigueur à ceux mêmes qui la préconisent. Plus tard, il serait trop tard. Dès qu’elle sera proclamée supérieure et antérieure à toute discussion, l’épreuve de l’application ne sera plus de mise. Les adeptes de bonne foi feront la sourde oreille ; ils se croiront en possession de la vérité, et ne voudront écouter personne.

Je veux donc bien admettre pour un instant que la tâche des peintres et