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une action, mais un personnage. Tout ce qui excède cette dernière limite doit être condamné sans hésitation. Qu’ayant à retracer la victoire de Marignan ou la défaite de Pavie, M. Clésinger lance au galop le cheval de François Ier, personne ne se plaindra, personne n’aura le droit de se plaindre ; mais une figure isolée n’est pas soumise aux mêmes conditions qu’une figure engagée dans une action militaire. À la première l’immobilité, à la seconde le mouvement. Pour sentir l’opportunité de cette distinction, il n’est pas nécessaire de réfléchir longtemps, il suffit de se demander la destination de l’œuvre soumise au contrôle public. Que le statuaire enflamme le regard de son modèle, qu’il donne à son attitude une expression guerrière, c’est son droit ; qu’il n’essaie pas de concevoir le personnage comme il pourrait le faire dans un bas-relief, car dans cette tentative réprouvée par le goût, il est sûr d’échouer. Un mouvement qui ne rencontre aucune résistance, un mouvement qui ne s’explique par la présence d’aucun adversaire est un mouvement inutile. M. Clésinger, obéissant à l’opinion vulgaire qui ne connaît pas la vie sans mouvement, a fait un cheval qui se cabre, et, ce qui est plus grave, un cheval qui se cabre sous un cavalier inhabile.

Malheureusement les statues équestres que nous possédons à Paris ne valent guère mieux que la statue de François Ier. La statue de Louis XIII, commencée par Dupaty et achevée par Roman, se dérobe par le ridicule à toute discussion. Le tronc d’arbre placé sous le ventre du cheval pour l’étayer est à coup sûr une des conceptions les plus singulières que l’on puisse rêver. Les paisibles habitans de la Place-Royale ont perdu depuis longtemps l’habitude d’en rire, et je suis loin de blâmer leur indifférence. La statue de Louis XIV, condamnée par le bon sens de tous ceux qui ont pris la peine de la regarder, peut être citée comme une des œuvres les plus absurdes de la sculpture moderne. La statue de Henri IV quoique très supérieure aux statues de Louis XIII et de Louis XIV, ne mérite cependant pas de grands éloges. Si Lemot a mieux fait que Dupaty et Bosio, il n’a pas montré une bien grande habileté. La construction du cheval ne révèle pas des études bien profondes. Il y a, dans toutes les parties qui présentent une difficulté à résoudre, une mollesse d’exécution que je prendrais volontiers pour une ruse. On dirait que Lemot, ne sachant comment indiquer la forme vraie du cheval qu’il a voulu modeler, n’achève pas sa tâche pour échapper au reproche des spectateurs trop sévères. Il faut du mohis lui rendre cette justice, qu’il n’a pas lancé au galop la monture de Henri IV. Le roi, tête nue, quoique vêtu en guerrier, respire une majesté calme ; en un mot, si l’auteur n’a pas réalisé pleinement le programme qui lui était donné, il faut reconnaître qu’il l’a compris, et qu’il a fait de son mieux pour contenter ses juges.

M. Clésinger n’a pas suivi l’exemple de Lemot. Il a voulu faire quelque chose d’extraordinaire, quelque chose qui fût sans précédent, et j’avoue sans hésiter qu’il a réussi. La statue de François Ier est une œuvre inattendue, qui n’a pas dans le passé de termes de comparaison. La réunion d’une toque et d’une cuirasse est une invention hardie qui doit satisfaire les amis de l’imprévu. Un esprit timide, soumis docilement aux traditions consacrées, ne se fût jamais avisé de tenter cette réunion. L’étonnement des spectateurs a dépassé toutes les espérances du statuaire. Son œuvre est à