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doigts, ne passerait-elle pas instantanément aux objets extérieurs, et ne leur communiquerait-elle pas l’impulsion et le mouvement ? Pourquoi ?… Mais que servirait de multiplier ces pourquoi, qui demeuraient plausibles jusqu’à ce que l’expérience répondît ? Si la volonté et par elle le mot magique ont pouvoir, qu’ils le montrent ; qu’ils remplacent la vapeur, l’électricité, et tous ces agens que la science abstraite a mis à la disposition du travail et de l’industrie. Rien ne se meut cependant, et, pour que le navire quitte le rivage, il faut toujours que le vent enfle ses voiles, ou que la houille fasse tourner ses roues.

Savoir et pouvoir sont les deux grands termes de la raison collective, dont le développement progressif fait la trame de l’histoire. À l’origine des annales humaines, on trouve la magie liée étroitement et confondue d’une part avec la science commençante, d’autre part avec la maladie, sans qu’il fût possible alors de faire un départ entre les trois. La magie, comme la science, cherchait à scruter les choses et à les faire servir à son usage, et sans doute mainte fois elle a, dans ses investigations, rencontré, comme fit plus tard l’alchimie, des phénomènes curieux ou importans. À son tour, la science, peu sûre en sa doctrine, peu riche de faits, ne refusait pas une alliance que les penseurs de la Grèce furent les premiers à oser repousser. Enfin la maladie, rêvant conformément à toutes les croyances reçues, apportait une confirmation apparente à l’art occulte. Tout cela, par l’office du temps révélateur et instructeur, s’est séparé et distingué. La science, riche de faits et assurée en sa doctrine, sait qu’elle n’agit que par l’intermédiaire des propriétés des choses, propriétés où elle ne pénètre peu à peu qu’en construisant, par la main des générations successives, des théories abstraites et profondes. La magie, isolée de la science et à part de la maladie, invoquant en vain les êtres immatériels de l’espace ou les forces élémentaires de la nature, a des charmes et des formules, mais rien qui leur obéisse. La maladie, qui si longtemps lui donna certificat d’existence, reconnue sous les formes singulières qui la masquaient, ajoute à la médecine une page que l’histoire, de son côté, ne doit pas négliger.


É. LITTRÉ.