Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/869

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ébranlée, à peu près comme la croyance au mouvement du soleil autour de la terre et à l’immobilité de notre planète fit place à une explication toute différente, malgré le dire des sens et les affirmations des autorités traditionnelles. Ce fut au sujet de la sorcellerie. Et en effet il y avait là quelque chose d’incompatible avec le surnaturalisme, et qui fit réfléchir. Des sorciers, amenés devant le tribunal, confessaient avoir fait périr par leurs sortilèges telle et telle personne, et ces personnes étaient vivantes au su et au vu de tout le monde, et on les amenait en confrontation avec les hommes qui disaient leur avoir donné la mort. D’autres fois, un sorcier était surveillé soigneusement, on ne le perdait pas de vue pendant son sommeil, et, quand il en sortait, il racontait des scènes du sabbat auxquelles il venait d’assister, bien que certainement il n’eût pas bougé de sa place. Cependant cela n’était rien à côté d’une singularité encore plus grande. Ces mêmes sorciers, qui avaient la faveur du prince des ténèbres, à qui il prêtait une part de sa puissance, qui, à leur gré, changeaient de forme, qui excitaient les tempêtes et soulevaient les flots, ces mêmes sorciers, dis-je, n’avaient ni richesses, ni éclat, ni grandeur, et par-dessus tout ne pouvaient se défendre de l’échafaud et du bûcher.

Ce furent les médecins qui prirent un ascendant sur la question et détournèrent le cours des opinions dominantes. Sans doute, en aucun temps il ne manqua d’esprits incrédules à toute sorcellerie, à toute possession ; mais nier et expliquer sont deux choses fort différentes, dont l’une ne remplace jamais l’autre : la négation est individuelle et laisse toujours le fait rebelle et incompatible ; l’explication est collective et soumet le fait au système général de la science positive. Et ici, en ce point difficile et délicat, je veux faire toucher au lecteur la loi de connexion qui unit les phénomènes historiques les uns aux autres, et qui, après la loi de filiation, est la plus importante de l’histoire. La filiation, c’est la condition suivant laquelle un fait engendre un fait, et le passé le présent ; la connexion, c’est la condition suivant laquelle certaines parties de civilisation s’allient et s’appellent, et certaines autres se repoussent et s’excluent. Ceci posé, comment advint-il que dans le cours du XVIIe siècle la médecine commença d’attirer à elle les sorcelleries, les possessions, les extases, d’en donner une doctrine et d’en chasser les doctrines antécédentes, qui attribuaient tout cela aux esprits purs ou impurs, bons ou mauvais ? Rien de pareil n’avait surgi dans l’antiquité ni dans le moyen âge : le plus qu’il y avait eu de dit, c’est que toutes les maladies étaient naturelles ; mais on n’avait pas dit que les états démoniaques fussent des maladies. Les progrès que la pathologie avait