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De ces traits épars, je ne signale que ceux qui ont été simultanément observés chez un grand nombre de personnes, c’est-à-dire qui ont eu un caractère collectif, afin que le lecteur en attribue la cause, quelle qu’elle soit, non à un cas particulier, mais à un cas général. Je continue. Au XVIe siècle, dans un couvent, les nonnes furent réveillées en sursaut, croyant entendre les gémissemens plaintifs d’une personne souffrante. Bientôt, se persuadant que leurs compagnes appelaient au secours et se levant à tour de rôle en toute hâte, elles étaient étonnées de leur méprise. Quelquefois il leur semblait qu’elles étaient chatouillées sous la plante des pieds, et elles s’abandonnaient aux accès d’un rire inextinguible. Elles se sentaient aussi entraînées hors du lit, et glissaient sur le parquet comme si on les eût tirées par les jambes. Plusieurs portaient sur le corps des marques de coups dont nul ne soupçonnait l’origine. Ces phénomènes eurent une issue tragique. Les personnes ainsi atteintes attribuaient leurs souffrances aux effets d’un pacte ; leurs accusations se portèrent sur une pauvre femme qui, saisie par le bras séculier et mise à la question, nia avec fermeté l’accusation, mais succomba aux suites des tortures endurées. On remarquera que souvent les vases qu’elles tenaient leur étaient violemment retirés des mains, qu’à quelques-unes une violence de même nature arrachait une partie de la chair, qu’à d’autres elle retournait sens devant derrière les jambes, les bras et la face ; qu’une d’entre elles fut soulevée en l’air, quoique les assistans s’efforçassent de l’empêcher et y missent la main, qu’ensuite rejetée contre terre, elle semblait morte, mais que, se relevant bientôt après comme d’un sommeil profond, elle sortit du réfectoire n’ayant aucun mal. C’était là un genre d’esprits frappeurs.

Veut-on voir les morts apparaître et se mêler aux vivans ? L’an 1594, au marquisat de Brandebourg, se montrèrent plus de cent soixante démoniaques, dont les paroles excitaient un vif étonnement. Ils connaissaient, nommaient les gens qu’ils n’avaient jamais vus, et dans leur bande on remarquait des personnes mortes depuis longtemps qui cheminaient, criant qu’on se repentît, que l’on quittât toutes les dissolutions, dénonçant le jugement de Dieu et confessant qu’il leur était commandé de publier, malgré qu’ils en eussent, amendement et retour au droit chemin.

En Lorraine, de 1580 à 1595, il y eut des manifestations d’un genre analogue, pour lesquelles plus de neuf cents personnes furent mises à mort par les juges. Ce n’était pas seulement dans la solitude et dans l’ombre de la prison que les prévenus voyaient le diable rôder autour de leur personne ; ils le voyaient, le sentaient, l’entendaient dans le tribunal et même pendant qu’on leur infligeait la