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guère de persécutions contre les magiciens, il n’y eut d’exception considérable que contre les druides, tourbe de prophètes et de médecins (je me sers de l’expression méprisante de l’auteur latin) ; l’empereur Tibère les supprima dans les Gaules, et ils se réfugièrent dans l’île de Bretagne. Au reste, il paraît que leurs rites comportaient des atrocités et des actes de cannibalisme, car le même auteur ajoute : « On ne saurait suffisamment estimer l’obligation due aux Romains pour avoir supprimé des monstruosités dans lesquelles tuer un homme était faire acte de religion, et manger de la chair humaine une pratique salutaire. » Le fait général n’en subsiste pas moins, et l’autorité n’était pas incessamment à la recherche des sorciers pour extirper cette engeance par le fer et par le feu. Une aussi notable différence a sa source dans la conception que les anciens se faisaient de l’univers et des êtres divins qui le gouvernaient. Il y avait, il est vrai, des dieux méchans, mais ces dieux n’en étaient pas moins respectables, ils n’en participaient pas moins à la nature divine, et ils n’étaient pas moins nécessaires à l’administration universelle. S’il y avait des dieux souterrains qui ne voyaient pas la lumière du jour, qui tenaient dans leur sombre empire les âmes des morts et qui régissaient les choses ensevelies dans les abîmes de la terre et des ténèbres, res alla terra et caligine mersas, ce n’était là qu’un département de cette gestion du monde que les anciens se figuraient. On tremblait en approchant des divinités redoutables ; mais, terribles comme leurs demeures et leurs fonctions, l’idée de crime, de tentation au mal, de révolte contre l’ordre éternel ne se joignait pas à leur culte. Aussi ceux qui essayaient d’avoir commerce avec elles n’étaient point, pour cela même, marqués d’un stigmate de réprobation. Si on s’adressait à elles aussi souvent qu’aux divinités lumineuses dans ces rites qui prétendaient dévoiler l’avenir ou obtenir des services, c’est qu’elles avaient le royaume de la mort, et que faire apparaître les trépassés et converser avec eux a toujours été un des plus vifs désirs de la magie et de ceux qui la consultent. Voyez la différence qu’a apportée, même dans les tendances de la curiosité, le progrès des connaissances positives. Jadis c’étaient les profondeurs de la terre qui attiraient la pensée des hommes ; là s’étendait un autre monde peuplé de divinités et d’ombres, pâle reflet de cette vie que, dans Homère, un guerrier, tout en bravant la mort, ne quitta jamais sans regretter sa jeunesse et sa vaillance. Aujourd’hui ce sont les profondeurs de l’espace infini qui attirent les imaginations, et un voyage dans les gouffres du globe n’aurait plus d’attrait que pour le géologue, qui, à l’aide d’observations et d’inductions, s’efforce à son tour de pénétrer les choses ensevelies dans les abîmes de la terre et des ténèbres.