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Meredith cache un nom connu, celui du fils unique de sir Edward Bulwer Lytton, qui, pour n’avoir que vingt-deux ans et pour être secrétaire d’ambassade, n’en est pas moins, ainsi que le lui disaient dernièrement certains critiques anglais peu louangeurs d’habitude, un vrai poète, a true poet.

Du point de vue surtout de la plus complète possession de la langue, il est impossible de ne pas accorder une très sérieuse attention au volume de M. Lytton. Il y a là fort peu de fantaisie, moins encore de sentimentalisme ou de gaspillage en fait de couleur. En vérité, — et je le dis à son éloge, — je ne vois pas trop ce que ferait cette foule de liseuses de profession, dont regorgent les salons anglais, de ce petit livre où l’intérêt dramatique n’est pour rien, où l’amour ne joue qu’un rôle secondaire, mais qui en revanche est plein d’une vive préoccupation des problèmes psychologiques. Je ne sais ce que dans l’avenir deviendra M. Lytton ; il se peut que les circonstances le détournent de la route où il a déjà fait un premier pas, que ses premières aspirations, au lieu de s’élever davantage, retombent, que ses curiosités s’éteignent, qu’en un mot il se fatigue de penser et de chercher, et reporte sur les affaires la somme de force intellectuelle qui lui a été départie. Je ne sais, mais j’admets volontiers alors qu’il a écrit sa dernière strophe, et le témoignage qu’il a donné de sa valeur poétique me suffit. M. Lytton est déjà écrivain, parce qu’il est penseur ; il domine la langue, parce qu’il n’y voit que le moyen de traduire l’idée qui le domine, lui, et son autorité sur l’une dépend de sa soumission à l’autre. M. Lytton s’exprime lui-même, c’est-à-dire, pour emprunter l’expression d’un ancien, il trouve les mots nécessaires à sa pensée : invenit verba quibus deberel loqui.

Il y a dans le volume qu’il vient de publier un souffle de jeunesse, un élan incontestable, mais en même temps l’évidence d’une trop virile pensée, et surtout la trace trop profonde d’études réellement aimées et comprises, pour que l’on puisse n’y reconnaître que l’effervescence poétique des premiers ans. Un sentiment vrai de l’antiquité, sentiment qui, au lieu de la rappeler sèchement, la fait revivre, est ce qui anime M. Lytton dans tout ce qu’il a écrit, et il évite également les deux manières par lesquelles on se trompe si facilement au sujet de la civilisation antique, et dont l’une consiste à la refaire à notre image, l’autre à nous refaire à la sienne. Du premier de ces procédés, qui dépouille l’antiquité de sa grandeur sous prétexte de nous la rendre familière, nous n’avons eu pendant quarante ans que trop d’exemples partout. Depuis une dizaine d’années, au contraire, c’est le système opposé qui est en vogue, et en recherchant ce qu’on est convenu d’appeler la sévère pureté de l’art antique, on arrive à créer des types dont le défaut est de ne vivre nulle part, pas plus dans le monde antique que dans le nôtre.