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jours, sinon dans ce qu’il a de meilleur, du moins dans ce qui rappelle la grâce et la force de sa veine lyrique. Après avoir dit comment il a revu Maud, comment il s’est laissé prendre à sa beauté, comment il a douté d’elle, passant par toutes les alternatives de la haine, de l’admiration et de l’épouvante que lui inspire une fatalité qu’il pressent de loin, le narrateur devine que Maud ne le hait pas, et le voilà pris d’un désir irrésistible d’en être aimé. Il y a là deux strophes fort belles, parce qu’elles viennent réellement du cœur, qu’elles sont naturellement vraies. Les voici :


« Oh ! que cette terre solide ne manque pas sous mes pieds avant que ce qui vit en moi n’ait rencontré ce que d’autres ont trouvé si doux ! Après, advienne que pourra ! Qu’importe que la raison même me quitte, que je devienne fou, qu’importe ? J’aurai eu mon jour, j’aurai vécu !

« Que ce beau ciel dure, et ne se ferme point pour moi dans la nuit avant que je ne sois sûr, sûr qu’il y ait quelqu’un qui m’aime ! Alors advienne que pourra ! arrive n’importe quoi à une si triste vie ! J’aurai vécu, j’aurai eu mon jour ! »


Maintenant, si, à propos de ce petit volume que vient de publier Tennyson, on voulait examiner les défauts de détail, on s’arrêterait tout d’abord à la phraséologie, qui froisse le goût en maint endroit. Je crains que l’auteur de Maud n’en soit à cette période de la vie poétique où arrivent immanquablement ceux dont la puissance dépend surtout de l’imagination. Qu’on se donne la peine de relire Locksley Hall, Love and Duty, ou bien presque toute l’œuvre intitulée In memoriam, et on se prendra d’un vif regret. On se dira qu’il y avait là autre chose, une meilleure veine à exploiter, une mine à creuser, qui aurait pu donner de vrais diamans, de ces fleurs de lumière qui résistent au temps, et ne s’altèrent jamais. Cependant si de là on se tourne vers cette galerie de beautés malheureusement si populaires, si l’on se met à contempler toutes ces Claribel, ces Lilian, ces Fatima, ces Eleanore, et que l’on se défende du faux éclat dont elles nous ont si souvent éblouis, on n’a plus rien à apprendre, et la faiblesse présente est expliquée. On s’aperçoit surtout de la prédominance de l’imagination chez Tennyson par les écarts du langage qui en est le symbole. Habitué à toujours laisser la bride sur le cou de sa monture, aujourd’hui la monture l’emporte. Le style lui échappe. C’est là une conséquence presque inévitable, et l’auteur de Maud ne sera ni le premier ni le dernier à la subir.

Il n’est guère possible de voir moins d’analogie entre deux poètes d’une même école qu’entre Tennyson et Owen Meredith. Ce qui manque à l’un se trouve précisément la qualité par laquelle l’autre se distingue. Disons en passant que ce pseudonyme d’Owen