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NOUVEAU TRACÉ POUR LE CANAL DE SUEZ.

avec une passion soutenue et une incontestable sagacité dans les détails, il s’appliqua à dresser des plans qui donnèrent un corps à l’idée et en furent le premier spécimen. C’est à ses plans que les promoteurs de l’entreprise s’étaient tous ralliés jusqu’au jour où les nivellemens de 1847, dirigés par M. Bourdaloue, firent évanouir l’hypothèse qui en était la raison première. Alors survint dans ce groupe d’hommes éminens une scission dont les suites importantes vont nous occuper. M. Linant demeura fidèle à l’œuvre la plus chère de sa vie, on ne saurait s’en étonner, et au tracé direct, qui, selon nous, se défend mal devant une saine critique. Quoi qu’il en soit, son projet a été un acheminement digne de gratitude, et son nom restera attaché à l’œuvre dont il a été, dont il est encore en ce moment l’un des précurseurs infatigables et nécessaires.

II. — Système du tracé indirect – Projets du canal par le barrage et par la partie moyenne du delta.

Ce système est le seul qui ait jamais été appliqué. Les anciens n’avaient pas cru devoir s’abstenir des eaux du Nil pour une voie navigable, et ils n’interdisaient pas à une route commerciale l’abord d’un grand centre commercial tel qu’Alexandrie. C’est sur cette tradition que M. Lepère avait modelé son projet de canal à petite navigation, dont il a été parlé. Ces exemples pendant longtemps furent perdus pour les promoteurs de l’entreprise de Suez. Ils pensaient que si la vieille Égypte avait établi la communication des deux mers à travers son territoire même, ç’avait été pour s’en réserver le monopole : puisque aujourd’hui toutes les nations devaient s’en partager les bénéfices, ils concluaient que c’était à l’isthme à recevoir ce grand chemin du monde, l’isthme où la nature avait fait les premiers frais du canal, et dont les marées hautes de la Mer-Rouge surtout attestaient la prédestination providentielle. L’isthme eut sa théorie, et cette théorie eut cours jusqu’aux nivellemens de 1847, qui amenèrent la crise. Les uns, comme on l’a vu, persistèrent dans le tracé direct ; quelques autres reconnurent que l’isthme les avait dévoyés et qu’il fallait retourner à l’Égypte et au Nil. Ils comprirent que l’Égypte n’avait point à prendre ombrage de ce trajet intérieur du canal, grâce à la politique loyale et pacifique des temps nouveaux, et ils entrevirent d’une part les relations commerciales du pays et de l’Europe se développant par ce contact, de l’autre le canal ne mettant le Nil à contribution que pour ajouter à la fertilité du sol. Alors, de même que naguère en société de M. Linant ils avaient emprunté à M. Lepère le tracé de Suez à Peluse, ils lui empruntèrent la tradition antique pour l’élargir conformément aux