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indiqué les découvertes de Balleny, dont il avait eu connaissance, et n’eût pas pris plus de soin de distinguer nettement les siennes. Wilkes de son côté répondait que Ross aurait très facilement pu faire cette distinction lui-même, puisqu’il connaissait aussi, et dans le détail, les découvertes de Balleny, et, par les journaux de l’Australie, celles de l’expédition américaine. Il faut avouer pourtant qu’il n’était pas si facile à Ross de reconnaître les îles de Balleny, sur la carte de Wilkes, dans une ligne de côtes non interrompue, bordée par une chaîne de montagnes, et placée à une latitude sensiblement différente de ces îles. Au milieu de ce débat, un des officiers américains intervint et déclara que le lieutenant Ringgolds avait en effet cru apercevoir la terre et des montagnes précisément dans la région où Ross en avait inutilement cherché. Dans la carte de ses découvertes, Wilkes a complètement effacé cette partie extrême de la côte du continent antarctique, et dans sa relation il note simplement que le lieutenant Ringgolds crut apercevoir des montagnes dans l’éloignement ; seulement aujourd’hui encore il prétend que ce n’est pas sur ces fausses apparences qu’il marqua la terre sur cette partie de la carte envoyée à Ross, mais uniquement pour représenter la découverte de Balleny.

On se trouve d’autant plus embarrassé pour tirer des conclusions dans un pareil débat, qu’il s’agit ici de personnes à la profession desquelles s’attache une réputation méritée d’honneur et de loyauté. Pourtant, quand on se trouve en présence de deux loyautés, dont l’une dit oui, et l’autre dit non, il faut bien chercher la vérité, comme s’il s’agissait de gens ordinaires. Si les explications du capitaine Wilkes peuvent laisser des nuages dans les esprits les plus crédules, on ne peut au moins pas lui refuser le mérite de les avoir bien défendues. Dans cette lutte, il a fait preuve d’une fertilité de ressources, d’une souplesse d’argumens qui feraient honneur au polémiste le plus habile. Dans le pays de M. Wilkes, il n’est pas rare de changer plusieurs fois de profession dans sa vie : le ministre se fait marchand, le marchand diplomate. La nouvelle profession de M. Wilkes paraît toute trouvée ; il a montré ce qu’on peut faire d’une cause qui d’abord semblait perdue, et n’a qu’à passer, s’il lui en prend fantaifeie, du pont de son vaisseau au barreau d’une cour de justice.

Il y a cependant un point que M. Wilkes pourrait difficilement contester, c’est l’extrême envie qu’il avait de découvrir un continent. Il n’a pas plus tôt aperçu une ligne de côtes, qu’il la baptise pompeusement de continent antarctique. Biscoë, en découvrant la terre d’Enderby, Dumont d’Urville la côte Adélie, Ross la terre Victoria, n’ont pas montré un si grand empressement. Cette impatience de Wilkes a peut-être contribué à l’égarer en quelques