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la même expédition, coupa plus tard le méridien à soixante-dix milles géographiques au-dessous du cap George, et établit que la terre découverte par Kerguelen n’était qu’une île.

L’horreur des solitudes australes, jusque-là si inconnues, la rigueur excessive du climat, les montagnes de glace aux formes et aux dimensions colossales, les hautes et longues falaises recouvertes d’un épais manteau de neige, la mer semée de débris qui s’agitent et se heurtent sans repos, frappèrent fortement la vive imagination de Cook. Le grand navigateur décrivit parfaitement, dans la relation de son voyage, la formation des glaces et leurs puissantes actions ; il distingua nettement les montagnes formées par les ruines des glaciers des plaines de glaces superficielles que Dumont d’Urville désignait plus tard sous le nom de banquises ; il pressentit l’existence des terres qui, après lui, furent découvertes en différens points de la vaste zone antarctique, u Je crois fermement, dit-il dans son Journal de voyage, qu’il y a près du pôle une étendue de terres où se forment la plupart des glaces répandues dans ce vaste océan méridional ; je crois que les glaces ne se prolongeraient pas si loin vers la mer de l’Inde et l’Océan-Atlantique, s’il n’y avait point au sud une terre, je veux dire une terre d’une étendue considérable. J’avoue cependant que la plus grande partie de ce continent austral (en supposant qu’il y en a un) doit être en dedans du cercle polaire, où la mer est si remplie de glaces, qu’elle est inabordable. Le danger qu’on court à reconnaître une côte dans ces mers inconnues et glacées est si grand, que j’ose dire que personne ne se hasardera à aller plus loin que moi, et que les terres qui peuvent être au sud ne seront jamais reconnues ; il faut affronter les brumes épaisses, les ondées de neige, le froid aigu, et tout ce qui peut rendre la navigation dangereuse ; l’aspect des côtes est plus horrible qu’on ne peut l’imaginer. Ge pays est condamné par la nature à rester enseveli dans des neiges et des glaces éternelles. »

Ailleurs, il écrit encore : « J’avais cependant grande envie d’approcher davantage du pôle ; mais il aurait été imprudent de faire perdre au public toutes les découvertes de cette expédition, en découvrant et reconnaissant une côte dont les relèvemens ne seraient d’aucune utilité ni à la navigation, ni à la géographie, ni à aucune autre science. Je crois qu’après cette relation, on ne parlera plus du continent austral. »

Aujourd’hui, même après les découvertes des dernières expéditions française, anglaise et américaine, on ne se sent guère disposé à adoucir la sévérité de ce jugement. L’on a reconnu « les terres qui peuvent être au sud, et qui ne devaient jamais être reconnues, » il s’est trouvé des marins assez hardis pour dépasser la trace de celui