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certain kha-kan Abraham, baptisé au lien appelé Fiskaha, dans le diocèse de Passau, non loin de la ville de Vienne.

Le christianisme paraissait le lien le plus solide pour rattacher les Avars à l’empire des Franks. Tout le monde travailla donc à leur conversion, les laïques aussi bien que les clercs, les fonctionnaires militaires ou civils aussi bien que les évêques. Le meilleur préfet fut celui qui convertissait le plus. Les hagiographes mentionnent avec grand éloge un certain Ing ou Ingo, comte de la Pannonie inférieure, qui s’était rendu cher au peuple, disent-ils, et se faisait obéir à tel point, qu’un commandement verbal émané de lui ou un morceau de papier non écrit, mais muni de son sceau, suffisait pour qu’on accomplît sans hésitation les ordres les plus graves. Voici de quelle façon il procéda en matière religieuse au début de son gouvernement. Toutes les fois qu’il invitait ses administrés à dîner chez lui, il faisait asseoir à sa propre table les gens de bas étage et les serfs qui étaient chrétiens, laissant dehors, devant la porte, les maîtres et les notables habitans qui ne l’étaient pas. À ceux-ci il faisait distribuer, comme à des mendians, le pain, la viande et un peu de vin dans des vases communs, tandis que les serfs faisaient grande chère et buvaient à sa santé dans des coupes d’or. « Qu’est-ce cela, comte Ingo ? crièrent un jour du dehors quelques chefs avars mécontens ; pourquoi nous traitez-vous ainsi ? — Je vous traite ainsi, répondit le comte, parce que, impurs comme vous l’êtes, vous ne méritez pas de communiquer avec des hommes qui se sont régénérés dans la fontaine sacrée du baptême : votre place est celle des chiens à la porte de la maison. » Le vieux récit ajoute que les nobles huns, éclairés par ces paroles, n’eurent rien de plus à cœur que de se faire instruire et baptiser.

Telle fut cette guerre de Hunnie, qui prolongea le territoire frank jusqu’à la Save et le domaine suprême des Franks jusqu’à la Mer-Noire. La France en retira un accroissement considérable de gloire, et Charlemagne l’objet favori de son ambition, car, les anciennes provinces de Pannonie et de Dacie étant ainsi rendues au christianisme et aux lois des peuples latins, l’empire d’Occident se trouva reconstitué de fait plus complet, plus grand qu’on ne l’avait vu depuis Théodose. Le pape consacra cette renaissance du vieux monde romain en plaçant sur la tête de Charlemagne la couronne des augustes, à Rome, le jour de Noël de l’année 800. Un second résultat fut d’effrayer assez l’empire grec pour qu’Irène, qui avait refusé autrefois la main de la jeune Rotrude pour son fils, offrît la sienne à Charlemagne. Si tel fut au dehors l’effet de cette guerre, il augmenta au dedans l’autorité de Charlemagne sur ses peuples, et enseigna aux Saxons à se résigner. On s’accorda à la regarder comme la plus difficile de toutes celles que Charlemagne avait entreprises, celle de Saxonie exceptée.