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NOUVEAU TRACÉ POUR LE CANAL DE SUEZ.

reur scientifique aujourd’hui corrigée. Un nivellement inexact, excusable sur un théâtre d’opérations militaires avait assigné 9m90 à la surélévation du niveau de la Mer-Rouge en marée haute au-dessus de la Méditerranée. Le savant ingénieur croyait donc avoir à son service une puissance de courant proportionnelle à cette surélévation, force toute gratuite qui lui était donnée pour changer la vallée de l’isthme en un détroit maritime, pour en nettoyer le chenal et en maintenir les passes ouvertes. M. Lepère aurait-il persisté après 1847 ? — C’est alors, on s’en souvient, qu’une commission d’ingénieurs rectifia les nivellemens de 1799, et réduisit la surélévation des hautes eaux de la Mer-Rouge à un maximum de 2 mètres — Nous ne savons. La pensée, non moins étendue que sagace de M. Lepère se témoigne par une prédilection avérée pour la jonction des deux mers traversant le Delta et s’embranchant sur Alexandrie En tout cas, personne ne serait fondé à placer le tracé actuel de l’isthme sous l’autorité de son nom. Surtout on ne saurait oublier qu’il n’a parlé qu’avec circonspection de l’établissement de la passe dans le golfe de Peluse ; la responsabilité de ce dernier chapitre du tracé direct incombe tout entière aux auteurs du projet.

Rien ne distingue Tineh de la plage égyptienne. La mer y est basse. Le fond de 8 mètres, voulu pour le tirant d’eau, ne se rencontre qu’à une distance de 8 kilomètres de la côte. Le canal devra y être amené entre deux jetées de cette longueur. Afin de prémunir la passe contre les ensablemens auxquels l’expose la double action du courant maritime et du vent régnant, il faudra construire un môle en tête des jetées. Derrière ce môle afin de protéger l’entrée ou la sortie des bâtimens par les temps contraires, il faudra enclore un port de refuge assez vaste pour le mouillage éventuel d’une flotte. Voilà Tineh. Si la nature a tout fait pour l’isthme, elle n’a rien fait pour Tineh, et il s’agit, l’expression est juste, d’y installer une autre Venise. On n’a point à s’alarmer, à ce qu’on prétend, ni des déjections limoneuses du Nil, ni de l’ensablement, qui est arrêté depuis des siècles, et dès lors tout est bien, il n’y a plus qu’à fonder. Ne rêvons-nous pas ? Lorsque nous lisons l’histoire d’une fondation des temps antiques ou modernes, sur le vieux continent ou dans le Nouveau-Monde ; nous voyons que les fondateurs, avant de déterminer le siége d’un port ou d’une cité, reconnaissent les avantages du lieu et tiennent compte de ce qu’on nomme les avances de la nature. Il y a en cela une sorte de génie particulier que les peuples honorent de leurs hommages. N’est-il donc pas étrange qu’on montre à l’Europe une plage absolument dénuée, et qu’on l’invite à y asseoir une ville et un port, coûte que coûte ? Et pourquoi ? Parce que Tineh est au bout d’un pli de terrain où l’on entend que le canal passe. On