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en campagne, et son approche, qui jetait toujours l’épouvante, suffit pour disperser les troupes saxonnes victorieuses. Bientôt il vit accourir vers lui toutes tremblantes les principales tribus avec leurs chefs : elles protestaient à qui mieux mieux de leur innocence, rejetant toute la faute sur Witikind, qui venait de regagner son asile en Danemark. « Witikind s’est sauvé, répondit froidement le roi des Franks ; mais ses complices sont ici, et je vous dois une leçon que pour votre bien j’ai trop longtemps différée. » On choisit parmi ceux qui se trouvaient là quatre mille cinq cents chefs ou soldats qui avaient pris part à l’embuscade du Suntal, on leur enleva leurs armes et on leur trancha la tête sur les bords de la petite rivière d’Alre, qui se décharge dans le Weser : la rivière et le fleuve roulèrent pendant plusieurs jours à l’Océan des eaux ensanglantées et des cadavres. Cette effroyable leçon n’était pas faite pour calmer les Saxons, qui reprirent la guerre avec fureur ; mais trois grandes batailles gagnées successivement par Charlemagne les épuisèrent tellement qu’ils demandèrent la paix. Witikind lui-même, découragé par ses revers, déposa les armes, et, se rendant en France sous un sauf-conduit du roi, il l’alla trouver dans sa villa d’Attigny pour lui prêter foi et hommage et demander la grâce du baptême. Charlemagne voulut être son parrain. Witikind et ses compagnons, suivant l’expression de nos vieilles chroniques, « furent donc baptisés et reçurent chrétienté ; » mais, toujours excessif dans ses idées, le représentant de la Germanie païenne, l’éternel agitateur des Saxons se fit moine, dit-on, et par des austérités sauvages mérita de passer pour un saint. Ces événemens se succédèrent coup sur coup. Le bonheur inaltérable qui accompagnait Charlemagne dans ses entreprises de guerre le couvrait aussi contre les complots souterrains : une conspiration des chefs thuringiens contre sa vie fut découverte et punie par lui sans trop de rigueur.

Cependant Tassilon n’était point resté inactif, et tandis que la Saxonie se faisait battre, il travaillait à réveiller la guerre en Italie, où le fils de Charlemagne, encore adolescent, n’imposait qu’à demi aux Lombards. Irène s’était engagée positivement à envoyer dans l’Adriatique une flotte et une armée pour aider le fils de Didier à relever le trône de son père. Le duc de Bénévent, Hérigise, avait reçu d’elle, en signe d’intime alliance, une robe de patrice avec une paire de ciseaux destinés à tondre, suivant l’usage romain, sa longue chevelure barbare ; les Lombards étaient dans l’attente, et les Italiens partisans des Grecs préparaient déjà leurs trahisons. Tassilon, de son côté, avait adressé aux Avars une ambassade secrète pour les exhorter à se joindre à lui ; mais ceux-ci se montraient indécis, prétextant l’incertitude des promesses d’Irène, et peu confians d’ailleurs dans la personne de Tassilon. Le mystère n’était point une des