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aux humiliations du souverain les tourmens de la jalousie domestique. On le voyait donc toujours en révolte soit de parole, soit de fait. Même sans vouloir ou pouvoir la guerre, il discutait arrogamment les ordres de son seigneur, il le méconnaissait. Convoqué en sa qualité de vassal aux diètes de l’empire frank, il refusait de s’y rendre, et quand une armée franke arrivait pour le châtier, toute cette vanité malade s’évanouissait en fumée, et Tassilon, à genoux, sollicitait de Charlemagne un pardon que Charlemagne accordait toujours. Peut-être que cette clémence, un peu dédaigneuse dans sa forme, mais sincère au fond, eût fini par toucher son cœur, sans le mauvais génie que le sort lui avait donné pour compagnon de sa vie : je veux parler de sa femme Liutberg, fille de Didier et sœur de cette princesse lombarde que Charlemagne avait épousée et renvoyée au bout d’un an.

Liutberg avait vu se consommer de catastrophe en catastrophe la ruine de sa famille, accomplie par la main des Franks et dont Charlemagne recueillait le fruit : les Lombards dépossédés de l’Italie, son père jeté du trône au fond d’un cloître, son frère exilé, errant à travers le monde, sa sœur déshonorée par un divorce. Elle détestait donc les Franks et par-dessus tout leur roi, qu’elle poursuivait d’une haine implacable. Pour se venger de lui pleinement, ne fût-ce qu’un jour, elle eût tout sacrifié sans hésitation, mari, enfans, sujets, couronne, elle-même enfin. La passion qui l’animait était une de ces folies de férocité que les cœurs lombards et gépides savaient seuls nourrir : c’était la haine d’Alboïn contre Cunimond, de Rosemonde contre Alboïn. Il y avait là quelque chose de monstrueux, d’étranger à la nature humaine, qui effrayait les contemporains eux-mêmes, et ils donnèrent à cette femme la qualification de Liutberg haïssable devant Dieu. Elle avait corrompu à ce point l’âme de son faible mari que, malgré des sentimens chrétiens que la suite montra sincères, il se vantait de ne prêter serment de fidélité au roi Charles que des lèvres et non du cœur, et qu’il recommandait à ses leudes bavarois de ne se point croire liés plus que lui par les sermons qu’ils avaient prêtés. Habile à le dominer par les côtés puérils de son caractère, par sa prétention à tout conduire, à être tout, elle lui présentait les nombreux pardons du roi des Franks comme des outrages plus sanglans que son inimitié déclarée. Sous ces excitations incessantes, Tassilon ne rêvait plus que complots et rébellions ; on l’entendait s’écrier avec amertume : « Mieux vaut cent fois la mort qu’une telle vie ! » Tandis que d’un côté il entretenait des correspondances avec l’impératrice Irène, avec le duc de Bénévent, avec tous les mécontens italiens au profit d’Adalgise, de l’autre il excitait les Saxons, et se faisait le confident ou le complice des assassins qui en Thuringe ou ailleurs conspiraient contre les jours du roi. L’insensé