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méconnaissable par un bizarre mélange de superstitions païennes et d’hérésies. L’épée austrasienne vint à plusieurs reprises remettre l’ordre dans ce chaos, qui durait toutefois encore en 696, lorsque fut tentée une seconde mission religieuse chez les Huns. Elle le fut par Rudbert ou Rupert, évêque de Worms, qui, reprenant l’idée d’Émeramme, vint débarquer par le Danube à Ratisbonne, où il put contempler les reliques de son prédécesseur martyrisé, dont la vue ne l’effraya point. Rupert appartenait à cette classe du clergé gallo-frank qui, sorti de la race conquérante, en ressentait encore les instincts, et joignait aux dons chrétiens de l’humilité et de la patience l’audace des entreprises et l’autorité du commandement. Le pacifique gouvernement des églises et la vie oisive des cloîtres ne suffisaient pas toujours à ces pasteurs des races guerrières : il leur fallait de l’agitation, des bois, des montagnes, des conquêtes, et on les voyait souvent, cédant au besoin des saintes aventures, échanger la crosse d’or de l’évêque pour le bâton noueux du pèlerin. C’est ce que venait de faire Rupert, qui se vantait d’avoir dans les veines du sang des rois mérovingiens, mais qui n’était guère moins fier des cicatrices de son martyre, un duc germain idolâtre l’ayant fait prendre un jour et battre de verges jusqu’au point de le laisser pour mort sur la place. Ce n’est pas à un tel homme, venu en Bavière avec le dessein de n’y point rester, qu’on aurait aisément barré le chemin. D’ailleurs l’esprit des Bavarois, châtiés par Pépin d’Héristal, se trouvait alors disposé au calme et à la résignation. Rupert s’occupa d’eux volontiers, et pendant un séjour de quelques semaines à Ratisbonne, il les aida à redevenir chrétiens. Dans le doute où il se trouvait de la foi de chacun d’eux, il prit le sage parti de les rebaptiser tous, ce qu’il fit avec l’aide de ses clercs et à commencer par le duc. Libre alors de tous devoirs de conscience vis-à-vis de la Bavière, il continua son voyage par eau, en descendant le Danube le long de sa rive droite, débarquant près des villes et des bourgs, partout où des populations nombreuses semblaient appeler ses prédications. Il ne lui advint aucun mal, et il poussa de cette façon jusqu’au confluent de la Save, qui servait de limite entre la Hunnie et l’empire grec. Il quitta là sa barque pour pénétrer dans l’intérieur du pays et opérer son retour par terre, en traversant d’un bout à l’autre les deux provinces pannoniennes.

Ce retour se fit également sans encombre. Les Avars, surpris, inquiets peut-être, laissèrent Rupert remplir sa pieuse mission sans le troubler et sans le maltraiter en quoi que ce fût ; il put même croire qu’il avait fait des prosélytes. Après avoir ainsi répandu parmi ces barbares l’enseignement du christianisme, il s’arrêta dans la vallée que baigne la rivière de Lorch, sur la lisière du territoire bavarois. Au lieu où cette rivière se jette dans le Danube, un peu au-dessus