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mencer l’expérience, de vous en tenir à ce premier coup d’essai.

— Vous me condamnez donc à n’avoir toute ma vie d’autre compagne qu’Ansha ? Savez-vous que c’est bien dur !

— Du moins, lui dis-je, si vous prenez une autre femme, choisissez-la parmi les jeunes filles élevées dans un harem nombreux, afin qu’elle soit formée d’avance à ce qu’elle trouvera chez vous. Si j’étais à votre place, je n’accepterais plus d’épouse que de la main d’Ansha.

— Merci encore ! Vous consentez à me donner une Ansha de quinze ans au lieu d’une Ansha de trente, mais toujours une Ansha ! Ah ! oui, c’est bien dur !

Le troisième jour après mon arrivée, je pris congé d’Emina. Ses adieux furent aussi tendres que ceux d’une fille à sa mère. — Ton départ ne précède le mien que de fort peu, me dit-elle, et la trace de tes pas ne sera pas effacée des allées de notre jardin que je le traverserai à mon tour et pour la dernière fois en allant au champ du repos. Je ne te retiens pas davantage ; tu m’as dit tout ce qu’il était bon que je susse, et je désire t’épargner le pénible spectacle de mon heure suprême. Que Dieu te bénisse dans ton voyage, et qu’il comble tes vœux les plus chers ! Dans ce ciel dont tu m’as ouvert l’entrée, je ne t’oublierai pas, ni toi, ni les tiens. Adieu, adieu !

Et me passant autour du cou ses bras amaigris, elle me pressa de toutes ses forces contre son cœur, me couvrit de baisers sur le front, sur les yeux, sur la bouche, puis, se détachant de moi et se couvrant le visage de ses mains, elle me dit tout bas, mais si bas qu’à peine je pouvais l’entendre : — Va, quitte-moi à présent… — Craignant en effet que l’émotion des adieux ne lui devînt fatale, je me retirai à la hâte.

Je partis le cœur gros, car ce court séjour dans le harem de Hamid-Bey m’avait laissé matière à de tristes et durables souvenirs. Aussi ne laissai-je depuis échapper aucune occasion d’apprendre des nouvelles d’Emina et d’Hamid. Ces occasions se présentèrent plus d’une fois pendant mon séjour en Asie, et voici dans leur ordre chronologique les événemens qu’elles m’apprirent.

Un voyageur que je rencontrai six mois plus tard revenant des lieux où s’est passée cette histoire me dit qu’il n’était bruit à plusieurs lieues à la ronde que du désespoir d’Hamid-Bey. Il avait perdu sa jeune femme, et en comparant les dates, je reconnus qu’Emina était morte le huitième jour après mon départ. Pauvre enfant ! son bonheur avait peu duré ! On disait qu’elle avait péri victime des machinations et des intrigues de la première femme du bey ; mais quelles étaient ces machinations, c’est ce que personne ne disait, ou du moins ce que chacun disait d’une façon différente. La nou-