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supposant, ajouta-t-elle, que je fusse jugée digne d’entrer dans votre paradis, Hamid-Bey ne pourrait-il m’y rejoindre un jour ?

Il fallut bien lui dire que cela dépendait d’abord d’Hamid lui-même et de Dieu ensuite, qui toucherait peut-être son cœur, si ce cœur n’était pas trop endurci. — Mais moi-même, ajouta Emina, ne puis-je contribuer à lui obtenir ce bonheur ?

Je lui répondis qu’elle le pouvait, que son mari avait encore, selon toutes les probabilités, un long avenir devant lui, et qu’il avait à passer par bien des épreuves avant de paraître devant Dieu, mais qu’elle-même, une fois admise et établie dans la société des justes, pourrait intercéder auprès de Dieu en faveur de l’époux chéri qu’elle laissait sur cette terre, que Dieu écoutait les prières de ses élus, et qu’Hamid lui serait sans doute redevable de son salut éternel.

— Ah ! que tu me fais de bien en me disant cela ! s’écria-t-elle. Entends-tu, Hamid ? Quand une bonne pensée te viendra dorénavant, ne la repousse pas, mais songe que c’est Dieu qui te l’envoie pour exaucer mes prières. Et je le prierai tant !… Je sais bien, moi, qu’il écoute toujours les prières qu’on lui adresse du fond du cœur. "Veux-tu savoir ce que je lui ai souvent demandé depuis que je m’attends à mourir ? Je lui ai demandé de m’envoyer à ma dernière heure une personne capable de dissiper mes doutes sur la vie future. Qu’en penses-tu ?… Et que crois-tu que je me sois dit à moi-même, lorsque tu m’amenas cette dame ?

Hamid-Bey parut frappé de cette coïncidence, et Emina, qui s’en aperçut, prit courage. — Je ne te demande pas de songer souvent à moi, ajouta-t-elle ; car songer à une morte, c’est toujours triste, et jamais je ne me souviens de ma mère sans avoir envie de pleurer. Ce que je te demande, c’est de penser à moi comme à une créature qui t’appartient dans l’autre vie de la même manière qu’elle t’a appartenu dans celle-ci, et qui n’aura d’autre soin pendant l’éternité que de prier pour toi.

— Je t’obéirai toujours, je ferai ce que tu voudras, répétait Hamid en sanglotant. Hélas ! que ne puis-je te donner tout de suite un gage de ma docilité ? N’y a-t-il pas un moyen d’assurer dès à présent notre réunion future ?

Je crois que, si je l’avais voulu, j’aurais pu assister à une reproduction de la scène du baptême d’Atala ; j’avoue aussi que j’éprouvai quelque scrupule de ne pas pousser les choses plus loin. Emina vint encore ajouter à mes hésitations en me disant qu’elle avait entendu parler d’une cérémonie qui effaçait la trace de tous les péchés commis, et qui rendait à l’âme chargée de fautes et même de crimes l’innocence et la pureté du premier âge, d’une cérémonie enfin qui conférait d’elle-même à l’infidèle tous les droits et les avantages du