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bien qu’Emina ne réalise jamais notre espoir ! — Après être revenue plusieurs fois à la charge et avoir arraché au bey cette parole d’une superbe insouciance : « Bah ! je suis jeune, et j’ai le temps d’aviser, » elle jugea enfin le moment favorable pour faire un pas en avant. — J’ai reçu hier, dit-elle, la visite de ma cousine la femme d’Osman-Bey (un des conseillers du pacha) et de sa fille. Sais-tu, seigneur, quel est le plus ardent désir de ma parente et de son mari ? C’est de te donner leur fille. Elle aura une belle dot, elle a été élevée simplement, elle jouit d’une santé robuste, et celle-là, je t’en réponds, te donnera un enfant avant la fin de la première année. Que n’ai-je vu Emina avant son mariage ! Je t’aurais fait part de mes craintes, et peut-être n’eusses-tu pas dédaigné de les prendre en considération.

— J’en doute, répondit froidement le bey, car Emina me plut dès le premier jour que je la vis, et même elle me plaît encore.

— Faudra-t-il donc que j’enlève tout espoir à mes cousines ? Ce sera un coup terrible que je leur porterai.

— Je ne dis pas cela, reprit Hamid avec empressement, dans ces sortes de choses il ne faut rien précipiter.

Laissant Hamid-Bey sous l’impression de ces ouvertures intéressées, Ansha se rendit près d’Emina et lui parla de fêtes prochaines qu’on préparait. — Des fêtes ! dit Emina, pendant la maladie d’Hamid-Bey ! Et qui donc pourrait en donner ? — Oh ! non pendant sa maladie, mais après son rétablissement. Celui qui les donnera, c’est Hamid-Bey lui-même pour célébrer son mariage. — Emina écoutait Ansha avec une surprise douloureuse. Heureusement pour elle l’excès de sa faiblesse la préservait d’agitations trop poignantes. Elle se dit que peut-être la nouvelle était fausse, et elle se reposa dans cet espoir.

Ansha avait bien jugé que la maladie de la grand’mère la mettrait à l’abri de beaucoup d’indiscrétions ; mais on ne s’avise jamais de tout, et à la place de la vieille dame il y avait de petits enfans dont la langue était aussi fort déliée. Un jour le bey apprit par ses enfans qu’Emina ne l’avait pas quitté pendant ses jours et ses nuits de souffrance ; il sut qu’à la requête d’Ansha l’iman était venu le visiter, et qu’enfin celle-ci avait pris le parti d’éviter la chambre du malade, parce qu’elle n’aimait pas l’odeur des drogues. Hamid fut profondément touché de ce qu’il venait d’apprendre au sujet d’Emina. — Elle sera tout simplement malade de fatigue, la pauvre chère petite, se dit-il. Et moi qui ne l’ai pas même remerciée de ses soins ! Mes premiers pas me porteront auprès d’elle. — Hamid réfléchit ensuite à l’étrange réserve d’Ansha, et il conçut sur sa sincérité des soupçons qu’il se promit de dissimuler et de vérifier au plus tôt. — Serait-il possible qu’Ansha fût jalouse d’Emina et qu’elle essayât de m’en