Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/727

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rituel, qui n’est que la théorie retournée de la femme libre et le droit de l’attraction passionnelle conféré à un seul sexe, le sexe masculin. Nos docteurs autorisaient une certaine polyandrie, et la liberté des deux sexes était au moins réciproque ; les despotiques mormons ne permettent que la polygamie. On ne peut pas descendre plus bas. La polygamie musulmane, avec son cortége de coutumes jalouses et discrètes, ses harems fermés, ses femmes voilées, est au moins une institution grave, décente, outre qu’elle est très explicable chez des Orientaux, et pour l’honneur de la loi musulmane, nous devons dire qu’aucune comparaison ne peut être établie entre elle et la loi des mormons.

Les mormons ont longtemps caché leurs goûts polygamiques, et ce n’est que peu à peu qu’ils se sont dévoilés. À Nauvoo, on les en accusait, et ils se disaient calomniés ; à Utah, ils ont jeté le masque. Il est assez probable qu’à l’origine Joseph Smith et ses confrères ont caché ce dogme à ceux des nouveaux convertis qui étaient mariés, et que ce n’est que peu à peu, et par la pratique, que cette institution s’est établie. C’est ce qui semble ressortir du livre intitulé la Vie des Femmes chez les mormons. L’auteur raconte plusieurs scènes qui se rapportent aux commencemens de la secte, à l’époque où les mormons erraient de l’Ohio au Missouri et du Missouri à l’Illinois, et qui toutes semblent prouver que beaucoup de colons mariés ignoraient absolument cette condition de la société mormonique. Il est évident que la doctrine polygamique a été inaugurée dans le mystère, et qu’elle ne s’est produite au grand jour que lorsqu’il y a eu un nombre de personnes compromises assez considérable pour la soutenir et l’approuver. Cette coutume dut naturellement rencontrer d’abord de vives oppositions, et quoique l’habitude soit bien puissante sur le cœur de l’homme, il est probable qu’elle en rencontrera encore longtemps. On se fait difficilement à une institution qui blesse toute la série des sentimens humains, depuis les affections les plus profondes du cœur jusqu’aux vanités les plus chatouilleuses de l’amour-propre. Quelle que fût la crédulité des premiers mormons, il y avait parmi eux des femmes qui aimaient leurs maris et ne se souciaient point de voir une nouvelle épouse venir partager leur place au foyer, il y avait des maris qui aimaient leurs femmes et ne se souciaient point de troubler leur bonheur pour faire gagner le ciel à d’autres qu’elles. Il y eut donc des querelles, des dissentimens violens, et ce fut enfin l’accusation d’un mari outragé, ou feignant de l’être, qui décida du sort de la colonie de Nauvoo. L’auteur de la Vie des Femmes chez les Mormons fait très bien comprendre comment cette institution a pu s’établir définitivement et sans trop de difficulté une fois que les mormons ont été installés dans