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Si les femmes ne peuvent être sauvées que par le moyen des hommes, les hommes doivent en conséquence en sauver le plus possible. Les mormons travaillent de leur mieux à cette œuvre pieuse en se scellant successivement et passagèrement à une infinité de femmes. Outre sa femme légitime, que l’on sauve complètement, on peut travailler, selon les forces de sa charité, à un cinquième ou à un quart du salut de plusieurs femmes spirituelles, et laisser ensuite à ses coreligionnaires le soin de compléter le rachat des pauvres âmes. Jamais on n’a rien inventé d’aussi impudent et d’aussi impudique.

Cette doctrine, qui serait extraordinaire partout, l’est surtout en Amérique, où les femmes ont conservé tout leur ancien empire, et sont entourées de plus de respect que la chevalerie n’en eut jamais pour elles. Le loisir est la condition d’une Américaine ; l’homme ne souffre point qu’elle se livre à aucun travail fatigant ; on ne la voit point, comme en Europe, travailler aux champs, bêcher la terre, accomplir les fonctions les moins délicates. Je me rappelle avoir lu, il y a quelques années, dans un journal américain, qu’une femme française, qui travaillait avec son mari à récolter et à laver l’or dans les vallées du Sacramento, avait excité l’admiration, mais aussi l’étonnement des Américains. Telle est la condition des Américaines pauvres ; riches, ce n’est point une métaphore de dire qu’elles sont élevées dans du coton, et qu’elles posent à peine le pied sur le sol nu. Les femmes sont les enfans gâtés de cette rude société. Comment, chez une population où les femmes sont des reines, les doctrines de Smith, qui les réduisent à l’état de parias, ont-elles pu trouver des complices parmi elles ? C’est un fait mystérieux, qui prouve une fois de plus combien la crédulité est grande chez les femmes et avec quelle facilité la corruption entame cette nature morale féminine, si fine, si souple, que moulent à leur gré les impressions passagères des sens et de l’imagination, et qui, composée de plus d’instinct que de réflexion, reste sans défense à la fois contre les entraînemens intimes et les séductions du dehors. C’est bien au sexe féminin que peut s’appliquer la parole de saint Paul : un peu de levain aigrit toute la pâte.

Le rusé Smith connaissait la nature impressionnable des femmes, et, selon l’habitude du charlatan, qui juge l’intelligence de sa dupe d’après le plus ou moins de facilité qu’il a eu à la duper, il avait déduit leur infériorité de leur crédulité. Son intelligence n’étant pas suffisamment éclairée pour lui montrer la raison d’être et la beauté du caractère féminin, il eut sur les femmes les idées d’un rustre grossier. Il vit surtout en elles des instrumens de plaisir et le moyen de la reproduction. Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu dans le monde de système plus dégradant pour la femme que le fameux mariage spi-