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que Smith s’en est emparé ; il ne l’a point créée, il n’a fait que la développer. On sait en effet l’origine du Livre de Mormon ; rien n’indique mieux comment Smith put trouver des dupes et des complices. Un M. Spaulding, après avoir rêvassé quelque temps sur les antiquités indiennes découvertes dans l’état de l’Ohio, accouche d’un roman indigeste, écrit en mauvais style biblique, sur l’origine des tribus américaines. Une copie de ce manuscrit tombe entre les mains de Sidney Rigdon, qui en donne communication à Joseph Smith. En même temps se répand la nouvelle qu’une bible ou un livre imprimé sur feuillets d’or a été trouvé au Canada, qu’un autre a été trouvé dans un des vieux monumens funèbres récemment découverts. Joseph Smith combine assez habilement toutes ces rumeurs, toutes ces fables, et forme du tout sa révélation mormonienne. Il n’a pas fait autre chose, comme on le voit, que donner un corps à certaines vanités nationales, et condenser en dogmes certains désirs obscurs et certains pressentimens qui travaillent toutes les têtes de ses compatriotes. Cette idée de la révélation américaine devait donc trouver des dupes et des croyans, elle en trouva ; mais encore une fois comment, étant aussi populaire et chatouillant aussi agréablement les fibres secrètes de l’orgueil national, cette secte trouva-t-elle des persécuteurs ?

Si Smith s’était borné à traduire le fameux Livre de Mormon à l’aide de sa lorgnette magique, composée des deux pierres urim et thumim, son mensonge, tout flatteur qu’il eût été pour l’Amérique, n’aurait pas tardé à être percé à jour ; il en eût été fait mention toute une semaine dans les journaux, et il serait oublié depuis longtemps. Smith le sentit ; le talent politique dont il a donné tant de preuves lui démontra la nécessité de fournir des armes à ses mensonges, s’il voulait qu’ils lui fussent profitables. En outre, la logique, qui ne peut pas ne pas dérouler tout son enchaînement de principes et de conséquences, même chez un charlatan, même chez un ignorant, le conduisait à cette conclusion forcée : que, puisqu’il avait annoncé une révélation nouvelle, il fallait en démontrer la nécessité. Si Dieu en effet a jugé utile de parler aux hommes encore une fois, il faut que les hommes aient oublié les vérités qu’il leur a enseignées par trois fois, par le moyen des patriarches, de Moïse et du Christ. Smith ne recula point, et déclara hardiment que les mensonges et les fourberies des hommes avaient tellement corrompu la vérité révélée, que c’est à peine s’il en restait trace, que le monde chrétien était un monde d’idolâtres et de païens, et que c’était pour faire cesser cet état de choses que Dieu l’avait choisi comme son interprète. Tous ceux qui ne croient pas en Joseph Smith sont donc des gentils et des païens aveugles ; l’église des mormons se sépare de toutes les autres. Là