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femmes criaient, d’autres sanglotaient. Mistress Bradish tremblait violemment, et que dirai-je de moi-même ? J’étais là, immobile, abasourdie, hébétée ; toutes mes facultés de raisonner se trouvaient absentes et me laissaient en proie à ma stupeur. Une voix chuchota à mon oreille : — Crois-tu maintenant ?

« Je me retournai ; c’était M. Ward. — Je suis étonnée, sinon convaincue, répondis-je.

« — Vous avez vu les morts rappelés à la vie. Regardez, elle parle et marche.

« Je regardai : c’était en effet la vérité. Elle était descendue de la table, et, revêtue de son linceul, faisait le tour de la chambre appuyée sur le bras de Smith. Oh ! comment exprimer ce que je sentis lorsqu’elle s’approcha de moi, cette terreur et ce respect qui s’attachaient à la présence d’une personne qui avait goûté le mystère de la mort et avait été arrachée aux mains du roi des terreurs, qui par expérience avait connu le terrible combat avec le dernier et puissant ennemi ? Cependant il n’y avait plus en elle trace de la mort. Ses joues regorgeaient de vie et de santé, ses yeux étincelaient d’animation, et ses formes parfaites et voluptueuses contrastaient étrangement avec ses vêtemens funèbres. Elle sortit en compagnie d’une des sœurs pour changer de vêtemens, tandis que Smith reprenait sa première place au bout de l’appartement. »


Cette scène prouve que Smith connaissait au moins l’art de parler à l’imagination des ignorans. Il ne négligeait aucun des moyens qui peuvent faire illusion sur les sens ; l’érection du temple bizarre et gigantesque de Nauvoo en est la preuve. Lorsque, sur la fin de sa vie, il eut fondé sa milice guerrière bibliquement nommée la compagnie des frères de Gédéon, il aimait à passer des revues, à montrer des cavalcades à son peuple, et il avait soin qu’elles fussent les plus brillantes possible. Rien n’y manquait, ni étendards, ni musique, et le prophète se donnait lui-même en spectacle, entouré de son état-major et escorté de ses sultanes favorites. Smith connaissait le peuple auquel il avait affaire, peuple qui, malgré sa liberté politique, son éducation pratique, sa religion rationnelle, sa presse sans contrôle et son immense publicité, est un des peuples les plus enclins à la superstition, les plus friands de merveilleux et les plus accessibles à toutes les nouveautés.

Nous avons plusieurs fois déjà indiqué ce fait curieux et significatif, qui démontre si bien que toutes les facultés de l’homme ne sont pas de la terre, qu’il en est une qui veut trouver à tout prix sa satisfaction, et qui la chercherait comme un Juif d’autrefois dans les cultes de Baal et de Moloch, si on lui retirait la vue de l’arche sainte et le temple séjour du vrai Dieu. De tels faits monstrueux sont les grimaces et les contorsions de l’esprit religieux dévoyé et égaré ; mais quelque tristes et repoussans qu’ils soient, ils méritent