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conséquent d’imaginatif ; ses hâbleries volaient à travers l’Europe comme les oiseaux au langage séducteur des contes d’Orient. Les mensonges de Smith au contraire ont quelque chose de lourd, d’informe ; ils ne volent pas, ils se traînent comme de gros oiseaux rustiques dans la basse-cour d’une ferme. D’ordinaire les prophètes vivent pauvres, et meurent sans avoir participé en rien aux bonnes choses de ce monde. Smith est, je crois, le premier qui ait fait banqueroute. Les persécutions qu’il a endurées ont, chose caractéristique, cette même apparence vulgaire : les combats de ses disciples avec les Américains ne sont pas plus poétiques que les batailles des rustres dans un champ de foire.

Il est vrai de dire, pour être juste, que ce n’est pas entièrement la faute de Smith si sa vie a cet air de vulgarité ; l’esprit du peuple au milieu duquel il vivait y contribue pour sa part. Le génie positif et gouailleur des Yankees n’était point propre à prêter à ses persécutions beaucoup de poésie. Les mormons n’avaient pas affaire en eux à des Juifs ardens et sérieux, se préparant à l’extermination par l’invocation du Dieu des batailles, ni à des chevaliers bardés de fer, conduits par des moines pittoresquement encapuchonnés et le crucifix à la main. Ils ne rencontraient devant eux ni un mystérieux saint-office ayant à sa disposition les lugubres fantasmagories des prisons, des tribunaux secrets et des auto-da-fés, ni des soldats espagnols massacrant leurs ennemis sous l’étendard de la Vierge, en égrenant dévotement leur chapelet, ni même ces anciens puritains, fondateurs des colonies américaines, qui firent jadis, avec une conviction si austère, brûler tant de sorcières, fouetter tant de quakers et marquer au front tant de femmes adultères. Les Yankees n’étaient point des persécuteurs aussi poétiques, et ils étaient incapables de prêter au martyrologe mormon aucun élément de légende. Lorsque la persécution devenait sérieuse, elle ne dépassait pas le degré d’émotion qui accompagne une émeute mesquine dans nos rues ou une grande bataille rangée entre deux partisans mexicains, chefs de deux puissantes armées de trois à quatre cents hommes ; mais avant d’en venir à cette extrémité, la persécution passait par diverses phases d’espièglerie, toutes prêtant plus au rire qu’aux sentimens solennels de la pitié et de l’admiration. Les mormons baptisaient par immersion dans les ruisseaux des localités où ils se trouvaient : les Yankees jugeaient bon d’accompagner la cérémonie de danses grotesques et de sérénades exécutées sur des chaudrons et des poëles à frire. Pour éviter le retour de pareils scandales, les saints prenaient la résolution de ne baptiser que la nuit ; les Yankees transportaient à l’endroit où s’accomplissait le baptême toutes sortes de charognes et d’ordures, si bien que, lorsque les confians mormons arrivaient