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de Neufchâtel, et dans le second le citoyen Joseph Smith de Windsor, état de Vermont.

Nous venons d’indiquer la vraie nature de Smith et les vrais sentimens qui l’ont fait agir ; tel est le levier qui a fait sa force, l’aimant qui a réuni un peuple autour de lui. Quoi que Smith ait pu penser dans la suite de sa vie, cet instinct de vengeance l’a animé au commencement, il a été le principe d’où ont découlé ses actions et ses mensonges. — Oui, moi Smith le déshérité, Smith le vagabond, Smith sans un dollar, Smith sur lequel crachent en passant tous les heureux de ce monde, je serai quelque chose, et je vous ferai tous trembler, fiers bourgeois, riches marchands, puissans planteurs, éloquens ministres de l’Évangile, fermiers heureux et propriétaires, rusés politiques, gras membres du congrès, et je prendrai le plus que je pourrai de tout ce qui vous appartient. Oui, j’enlèverai sans scrupule, lorsque je le pourrai, vos femmes, vos filles, votre argent, et, lorsque cela sera nécessaire, votre vie. — Animé de ces passions, il a parlé, et tous ceux qui lui ressemblaient par nature se sont réunis autour de lui. Tous les pauvres diables des États-Unis l’ont accepté pour prophète, et il est remarquable que tous les pauvres diables de l’émigration en ont fait et en font autant. L’originalité de cette secte, c’est qu’elle est essentiellement la secte des malheureux. Bien plus que les doctrines socialistes, doctrines alambiquées, fruit d’une analyse pervertie ou excessive, mais philosophique en définitive, le mormonisme est la doctrine de ce qu’on peut appeler les parias de la nature. La secte a ce caractère, et, quels que soient les changemens qui surviennent, elle le gardera.

Ce roi des parias avait donc devant lui une masse. Pour la soulever, il lui fallait un levier. Il ne pouvait en trouver un convenable à ses desseins dans une société régulièrement organisée. Il essaya d’en inventer un, et comme son intelligence n’était pas à la hauteur de son ambition, et que son imagination était moins puissante que son ressentiment, il accoucha de ce monstre de confusion qui s’appelle le mormonisme. De ce défaut inné d’intelligence résulte la vulgarité qui domine dans la personne et dans la vie de Joseph Smith. Les existences agitées ont généralement quelque chose de dramatique, et qui parle à l’imagination ; jamais existence cependant ne fut plus agitée et en même temps plus vulgaire que celle de Smith. Il n’y a aucune poésie dans les actions de ce malheureux. Il commence, comme Cagliostro, par des escroqueries merveilleuses, et continue comme lui par la fabrication d’une espèce de religion où le surnaturel est employé à couvrir les intérêts les plus grossiers et les convoitises les plus immondes. Cependant les mensonges du célèbre charlatan du dernier siècle avaient quelque chose d’italien et par