Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/698

Cette page a été validée par deux contributeurs.

servations que j’adresserai comme réponse à ceux qui veulent voir dans le mormonisme la preuve matérielle et évidente que toutes les religions ont été comme lui, dans le principe, de pures jongleries, que toutes les sectes ont été fondées comme lui sur un mensonge, et que le premier qui fut dieu fut un heureux imposteur.

La première est celle-ci. Nous sommes tous juges des esprits et des doctrines, et, de même que la bête est douée d’un instinct mystérieux qui lui fait reconnaître les plantes salubres des plantes empoisonnées, l’homme, créature morale, est pourvu d’un instinct spirituel qui lui fait reconnaître les doctrines sensées des doctrines absurdes, et les âmes vraies des âmes menteuses. Nous comprenons tous, pour prendre des exemples, que Descartes est un plus grand homme qu’Helvétius, et que Voltaire possède tout le bon sens dont Naigeon est dépourvu, il en est pour les choses religieuses comme pour les choses philosophiques : il y a un certain rayon qui nous fait discerner le vrai du faux, ce qui est fondé sur la nature de ce qui est fondé sur le mensonge. Il est impossible de s’y tromper, à moins d’être d’aussi mauvaise foi que le prophète des mormons lui-même. Tout homme de bon sens sait faire la différence entre sainte Thérèse et Marie Alacoque, entre Lavater et Cagliostro, entre Saint-Martin et Mesmer. Est-il plus difficile de faire entre les idées la différence que nous faisons entre les âmes, et n’est-il pas juste de dire que la vérité des idées est toujours en rapport direct avec la véracité de l’âme qui les professe ?

Pour juger si le succès du mormonisme justifie la pensée de ceux qui ne veulent voir dans les religions que d’heureuses fourberies, on n’a qu’à comparer cette secte avec d’autres, avec les plus excentriques par exemple, avec celles qui ont le plus dévié de la tradition, telles que le swedenborgisme et le quakerisme. Parmi les personnes qui se montrent si indulgentes pour Joseph Smith, il n’en est aucune, j’imagine, qui voulût soutenir que ce hardi charlatan ait eu la moindre bonne foi ; tout au plus pourrait-on admettre qu’à un certain moment il s’est grisé de ses propres mensonges, que par suite il s’est entêté et raidi contre les obstacles, et qu’il a achevé par le fanatisme ce qu’il avait commencé par l’imposture. Il est certain qu’après avoir examiné avec attention les diverses phases de la vie de Smith, on est obligé d’avouer en toute impartialité qu’au terme de sa carrière, la lutte, l’obstacle, le danger, avaient fini par lui donner une chose qu’il n’avait pas eue d’abord, la passion. Oui, ce hâbleur d’autrefois, ce vulgaire Cagliostro yankee, qui savait se servir de la baguette à découvrir les sources comme l’abbé Paramele et connaissait les cachettes où gisaient les trésors enfouis, avait fini par prendre un caractère à la Mahomet ; mais une des plus grandes bizarreries de