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dans le journal apporté par le dernier paquebot aura pris de l’importance, vous verrez comment le meurtre de tel misérable mormon par quelque fanatique américain sera devenu merveilleux ; vous verrez comment ce sectaire ergoteur ou défiant qui a été proscrit de la communauté sera devenu un Simon le Magicien révolté contre les ordres de Dieu, comment ces époux chez qui le vieil homme n’était pas éteint, et que le hierarch Brigham Young a dû publiquement réprimander, figureront bien le couple perfide et menteur d’Ananias et de Saphira, rebelles aux ordres de l’esprit ! Des milliers de légendes rempliront l’imagination populaire ; la persécution dans l’Illinois, la fuite aux Montagnes-Rocheuses, l’établissement des saints des derniers jours sur les bords du grand lac Salé, fourniront le texte de récits merveilleux. Et qui sait, lorsque ces premières dupes et ces premiers fourbes seront morts, si cette sotte croyance ne s’épurera pas, si elle ne trouvera pas ses grands docteurs et ses grands métaphysiciens, et si les fidèles de cette église bâtie sur les plus vulgaires appétits ne seront pas capables alors des plus délicates vertus ? Grandes sont les ressources de la nature, qui sait faire sortir un beau jour, par sa bienfaisante alchimie, une rose superbe de chardons et d’orties en putréfaction, et grandes aussi sont les ressources du temps, qui transforme en idéalités brillantes les grossières vulgarités du passé.

Ce raisonnement peut être fait et a été fait, et j’ai même lu des écrits tendant, non à établir cette thèse, — nos modernes sceptiques sont trop prudens pour cela, — mais à l’insinuer. À mesure que le temps marche et que les faits s’accumulent, — faits qui donnent tous un démenti aux théories du dernier siècle, et qui prouvent qu’il y a dans l’homme autre chose qu’un animal sociable, qu’il y a en lui le désir de destinées plus grandes que celles que pourrait lui offrir la constitution politique la mieux combinée, — les partisans du XVIIIe siècle prennent bravement leur parti de ces aberrations humaines. Ils n’ont plus le fanatisme révolutionnaire de leurs pères, et ce n’est pas eux qui demanderaient à étrangler le dernier roi avec les entrailles du dernier prêtre. Ils vivent en très bonne intelligence avec les prêtres et les rois. Ils vivraient sans scrupule avec les mormons eux-mêmes. Puisqu’aussi bien l’homme est incorrigible, semblent-ils penser, le mieux est de s’accoutumer à ses aberrations et de nous arranger pour n’en être point gênés. C’est là qu’en est venu le fanatisme anti-religieux du dernier siècle, ce fanatisme qui ne voulait souffrir dans le monde rien que lui-même, et que le simple déisme effarouchait ! Quantum mutatus ab illo !

Je ne m’imposerai pas la tâche extravagante de justifier les choses du passé : ce terrain est périlleux ; il est cependant deux courtes ob-