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bon marché. Cette opposition n’avait rien d’inquiétant. Ce n’était qu’une voix perdue derrière le char du triomphateur.

Quelques semaines s’étaient à peine écoulées que toute cette situation avait changé. Le rôle du nouveau cabinet parut par trop commode, et l’esprit de parti n’y trouvait pas assez son compte. Voter des hommes, voter de l’argent, cela pouvait bien aider à pousser vigoureusement la guerre en Crimée, mais cela ne se prêtait que médiocrement aux combinaisons de la stratégie parlementaire. Démarcations politiques, nuances, individualités, traditions du passé, espérances de l’avenir, tout s’éteignait peu à peu dans une fade conciliation. Plus de discours, on votait, ou si l’on discutait encore, c’était pour arriver en définitive à cette mortifiante conclusion, qu’on était à peu près d’accord ! Bref, le système représentatif, ce système qui, en Angleterre surtout, vit de lutte et d’antagonisme, ne semblait plus fonctionner que comme un grand appareil mécanique dont la marche tranquille et régulière eut pu faire l’admiration des visiteurs de la galerie des machines à l’exposition universelle, mais qu’on ne se serait certainement pas attendu à rencontrer dans le palais de Westminster.

Un tel phénomène d’unanimité calme et de désintéressement oratoire ne pouvait durer longtemps au sein d’une assemblée où s’agitent d’ordinaire tant d’intérêts, de passions et d’amours-propres. La grande majorité eût-elle consenti à cette abdication de toute initiative, qu’il y aurait eu plus que de la naïveté à l’attendre des personnages qui jouent un certain rôle sur la scène politique. Ces personnages peuvent être divisés en deux classes. Les uns se regardent toujours comme les successeurs légitimes des ministres en exercice, et, en héritiers pressés, n’aiment pas à leur laisser trop de chances de longévité. Les autres ont déjà occupé le pouvoir, et le pouvoir, à ce qu’il parait, exerce un charme si irrésistible sur ceux qui y ont une fois touché, qu’ils ne peuvent plus se défendre du besoin d’y toucher encore. Cette infirmité, particulière aux ministres déchus, peut tarder quelquefois à se manifester, mais il est bien rare qu’elle n’éclate pas un jour ou l’autre. — Entre tous ces hommes qui aspirent au gouvernement, ceux-ci parce qu’ils ont l’impatience de la veille, ceux-là parce qu’ils cèdent à la nostalgie du lendemain, il s’établit doucement, tacitement, sans délibération préalable, par le jeu naturel des passions humaines, une communauté d’opposition à laquelle les questions du moment donnent plus ou moins de puissance et de solidité.

Dans la circonstance présente, le cabinet avait été créé pour mener énergiquement la guerre. Afin de lui faire échec, on se trouvait donc conduit à imaginer un parti de la paix. Le drapeau fut bientôt arboré, et de toutes parts accoururent des volontaires bien étonnés de se voir associés pour la même cause. M. Cobden et ses amis furent des premiers, c’est tout simple. Eux, du moins, étaient conséquens ; mais M. Disraeli, qui avait déversé tant de sarcasmes sur la mollesse avec laquelle, selon lui, la guerre avait été soutenue jusque-là, M. Disraeli, qui, à la veille des vacances de la Pentecôte, provoquait de la chambre une déclaration catégorique, de peur que, pendant ces vacances, le ministère « ne signât clandestinement une paix honteuse ; » mais sir James Graham, M. Gladstone, M. Sidney Herbert et tant d’autres, tous membres ou défenseurs du dernier cabinet, tous engagés solidairement