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dernière crise ministérielle, et aussi l’expression de cette lutte singulière de tous les élémens politiques de la Péninsule.

En premier lieu, l’assemblée de Madrid a pu arriver à voter définitivement la constitution nouvelle. Il y avait un an déjà qu’elle travaillait à cette grande œuvre ; mais, le dernier mot de la constitution écrit, il s’élevait tout aussitôt une question fort inattendue. Cette loi fondamentale qu’on venait de voter serait-elle immédiatement promulguée ? resterait-elle au contraire indéfiniment suspendue ? Dans une réunion tenue par le bureau du congrès, la commission de constitution et quelques ministres, M. Olozaga, qui n’a point été heureux en plusieurs rencontres depuis quelque temps, émettait l’avis qu’il fallait soumettre la loi fondamentale à l’acceptation de la reine, puis en suspendre la promulgation. Le calcul était fort simple : l’acceptation de la reine engageait la couronne ; l’ajournement de la promulgation laissait toute liberté à l’assemblée, qui pouvait au besoin devenir une espèce de long-parlement. C’est à quoi s’opposait un des membres de la réunion, M. Rios Rosas, avec l’autorité d’un homme qui, en se montrant justement libéral, n’a cessé depuis un an de défendre la dignité et les prérogatives de la monarchie. Qu’est-il sorti de là ? Le calcul de M. Olozaga a été trompé, il est vrai, mais on n’a rien fait. La constitution n’a été ni proposée à l’acceptation de la reine, ni par conséquent promulguée, et elle reste provisoirement déposée aux archives, en attendant de devenir une vérité. C’est ainsi que les progressistes espagnols entendent le gouvernement représentatif.

Un autre incident plus sérieux s’est présenté bientôt. L’un des membres du cabinet, le ministre de la justice, M. Fuente-Andrès, agissant, dit-on, sous l’inspiration de M. Olozaga, soumettait à l’improviste au conseil un projet sur un point de législation toujours fort délicat. Il ne s’agissait point, ainsi qu’on l’a cru d’abord, d’introduire le mariage civil en Espagne. La proposition de M. Fuente-Andrès était beaucoup plus modeste ; elle tendait uniquement à déclarer libres de frais de dispenses les mariages entre parens, l’état s’engageant à payer à la cour de Rome une somme fixe en échange de ces droits. Le projet de M. Fuente-Andrès avait un grand inconvénient : il venait au conseil justement en l’absence du général O’Donnell, gravement malade en ce moment même ; il ressemblait à une petite conspiration contre le ministre de la guerre. Il s’agissait tout simplement de compromettre le nom d’Espartero en faveur du projet, et cela fait, si O’Donnell, cédant à quelque mouvement de susceptibilité, donnait sa démission, le but était atteint : la route du pouvoir était ouverte aux progressistes. La combinaison n’était point sans habileté. Seulement elle a échoué dans le conseil même, où le projet de M. Fuente-Andrès était vigoureusement combattu par le ministre d’état, le général Zabala, qui la jugeait d’autant plus inopportune qu’elle pouvait susciter encore des difficultés nouvelles dans un moment où on a la confiance, qui paraît assez fondée, d’un prochain rapprochement avec Rome. La reine elle-même ne trouvait pas la mesure tellement urgente, qu’il y eût une résolution à prendre avant d’avoir l’avis du ministre de la guerre. Le projet de M. Fuente-Andrès, appuyé par le ministre de l’intérieur, M. Huelves, ne pouvait avoir qu’un résultat assez facile à prévoir, celui de blesser le général O’Donnell, contre lequel il était prin-