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la reine, et il protège les aérostats, jusqu’à ce qu’enfin, au déclin de sa vie, par une bizarre ironie de la fortune, il se trouve tout à la fois agent du comité de salut public et porté sur la liste des émigrés. À travers tous les hasards d’une telle carrière individuelle, n’aperçoit-on pas la société française elle-même tout entière, les parlemens qui se dégradent, le pouvoir qui s’abaisse, tout le monde empressé à se donner les plaisirs du vice et les dehors de la vertu, la noblesse allant battre des mains à une comédie qui la livre à la dérision publique ? La société et l’homme s’éclairent mutuellement. Ainsi apparaît Beaumarchais, portant le génie de l’intrigue dans les grandes affaires et presque grand dans les petites choses, se jetant sur toutes les entreprises, de quelque espèce qu’elles soient, comme sur une proie qui lui est dévolue ; nature féconde d’ailleurs, bienveillante et prodigue, fertile en ressources et prompte à toutes les évolutions, mais manquant de cette dignité et de ces scrupules qui relèvent un caractère. Beaumarchais est né à l’heure la plus favorable pour lui. Un siècle plus tôt, la vie qu’il a menée était impossible ; tout était alors trop ordonné. L’auteur du Mariage de Figaro eût-il été plus heureux dans la confusion moderne ? eût-il atteint décidément à cette supériorité d’existence à laquelle il aspirait ? M. de Loménie le laisse penser, non sans un peu d’ironie peut-être. Avec son habileté à manier les hommes, avec son aptitude aux affaires, avec son activité et sa persévérance, Beaumarchais aurait pu parvenir à tout, à la fortune et aux dignités. Il n’aurait pas écrit de comédies, ce qui diminue toujours un peu les hommes d’importance ; il eût contenu son esprit pour ne se point faire d’ennemis. Cela fait, où se serait-il arrêté ? C’est là une hypothèse. L’autre hypothèse, c’est que Beaumarchais aurait bien pu écrire à son tour des mémoires, établir des manufactures de livres et se mêler à toutes les spéculations hasardeuses. Et alors ne vaut-il pas mieux qu’il soit venu tout simplement dans un siècle où il n’a point été sans doute un homme parfait, ni même important, mais où il a été un homme amusant, spirituel et hardi, curieux à observer dans ses métamorphoses de toute nature ?

Les métamorphoses sont aujourd’hui dans la politique et dans la vie des peuples, dont la destinée varie avec les lieux et les circonstances. Pays d’industrie et d’affaires, la Belgique appelle aussi de ses vœux la paix générale, dont le présage a déjà produit une baisse considérable sur le prix des grains, et dont la conclusion, en permettant la sortie des blés de la Russie, aurait sans doute pour effet de tempérer singulièrement la crise alimentaire. Cette crise, à vrai dire, est une des questions les plus graves en Belgique. Cependant il s’est manifesté depuis quelque temps dans les universités une certaine agitation qui s’est communiquée au parlement lui-même, et cette agitation a pris sa source dans un incident assez étrange. Quelques élèves de l’université de Gand avaient prêté à un professeur des doctrines qui auraient attaqué le catholicisme et même le christianisme tout entier, puisqu’elles auraient nié la divinité du Christ. À cette plainte, d’autres élèves, en plus grand nombre, ont répondu en délivrant un certificat d’orthodoxie au professeur incriminé. Le conseil académique, saisi de l’affaire, a décidé, après une enquête, que les paroles du professeur avaient été mal interprétées, mais que les élèves qui avaient cru remarquer dans ces paroles une attaque contre le christianisme avaient été de bonne foi. Le ministre de l’intérieur