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nement anglais, pas plus qu’il ne pouvait laisser croire à des dissentimens sérieux entre les cabinets de Londres et de Paris. La vérité est que les deux gouvernemens se sont mis complètement d’accord sur les conditions particulières qu’ils ont à produire aussi bien que sur la direction générale à imprimer à cette grande affaire. Si on avait pu conserver quelques doutes sur les dispositions réelles du gouvernement anglais, ces doutes se seraient évanouis devant le langage tenu récemment par lord Cowley à la suite d’une cérémonie où il venait de conférer au nom de la reine la décoration du Bain non-seulement aux chefs de notre armée de terre, mais encore aux chefs de notre marine, à M. le contre-amiral Penaud, qui a commandé l’escadre de la Baltique dans la dernière campagne, et à M. le contre-amiral Rigault de Genouilly, qui a commandé les batteries de la marine débarquées devant Sébastopol. Il y a une bonne raison pour que la France et l’Angleterre demeurent unies, c’est que leur alliance est nécessaire. Quelque favorables que soient tous les présages accueillis avec empressement par l’opinion publique, il ne reste pas moins d’immenses difficultés. Que la paix soit signée, nos armées vont-elles évacuer immédiatement la Turquie ? Ne reste-il pas les principautés à organiser efficacement ? N’y a-t-il point à poursuivre des améliorations pratiques de toute sorte dans l’état des populations chrétiennes de l’Orient, et à soutenir le gouvernement turc lui-même, qui a malheureusement plus de bonnes intentions que de pouvoir ? Il y a un fait que les traités ne peuvent changer, c’est la position géographique de la Russie vis-à-vis de la Turquie, position qui fait la force de la politique des tsars. Et comme on n’a pas le secret de refaire subitement sur le sol turc un empire compacte et rajeuni capable de se défendre par lui-même, il n’y a qu’une chose qui reste la garantie de l’Europe : c’est l’alliance de la France et de l’Angleterre. Ainsi donc se présente la situation actuelle du continent. Ce qui la caractérise et la résume, c’est l’ouverture prochaine de ce congrès où chaque puissance portera la responsabilité d’une politique qui peut influer singulièrement sur les destinées de l’Europe.

L’idée de la paix, il faut le dire, a trouvé une faveur particulière en France ; elle a été reçue comme on reçoit les bonnes nouvelles, surtout lorsqu’on commence à n’y plus croire. Comment s’explique cette faveur qui s’attache à l’idée de la paix ? Il y a sans doute le sentiment de l’humanité satisfait de voir s’arrêter l’effusion du sang : il y a cet instinct plus doux, ou si l’on veut moins violent développé par la civilisation ; il y a aussi la pensée que la paix seule permet à l’industrie, au commerce, à tous les intérêts de prendre librement leur essor. Si l’on veut juger des ressources singulières qui existent toujours en France, même sous l’empire de complications menaçantes, on n’a qu’à observer le mouvement de la richesse publique tel qu’il ressort d’un tableau des revenus indirects publié, il y a peu de jours, par le gouvernement. En deux années, le chiffre de ces revenus a augmenté de plus de 100 millions, et en défalquant ce qui est dû à la perception des nouveaux impôts établis dans la dernière session législative, l’augmentation reste encore de plus de 70 millions. Les droits d’enregistrement, les droits de timbre, le produit des tabacs, le produit des postes, se sont progressivement accrus. C’est donc dans la situation matérielle de la France un côté que le dernier rapport du ministre des finances relève avec