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tât le dernier article, par lequel les puissances belligérantes se réservent le droit de produire des conditions ultérieures, comme pouvant entraver l’œuvre de la paix en ouvrant la porte à des difficultés imprévues. Or l’Autriche, par ses engagemens, s’était mise dans l’impossibilité d’admettre des modifications quelconques. L’empereur Alexandre n’a point cru que ces divergences, qualifiées maintenant de secondaires par le journal de la chancellerie russe, valussent une rupture peut-être irréparable. Il a franchi l’intervalle qui le séparait des alliés en venant se placer sur leur terrain.

Telle est la situation aujourd’hui. Les puissances occidentales sont allées aussi loin qu’elles pouvaient aller dans la voie de la modération, en se bornant strictement à ce qu’elles ne pouvaient s’empêcher de demander sans laisser éclater une trop frappante disproportion entre les sacrifices accomplis et les résultats obtenus. D’autre part, la Russie accepte, non en principe et comme base de négociations à ouvrir, mais dans leur texte net et précis, les propositions qu’on connaît. Voilà donc les diverses puissances engagées dans la lutte mises en demeure de transformer en traité de paix des conditions auxquelles chacune d’elles a d’avance adhéré. Et comme, à défaut d’un armistice qui ne paraît point devoir être signé encore, les hostilités sont par le fait à peu près suspendues sur tous les points, il n’est point à craindre que les délibérations de la diplomatie soient à la merci de quelque incident de guerre. Ce sont là les faits qui se présentent tout d’abord comme les préludes favorables des négociations prochaines, comme les gages rassurans de la possibilité d’une conciliation. S’il reste encore plus d’une analogie entre la situation actuelle et la situation où nous étions il y a un an, il y a aussi des différences notables qu’on ne peut méconnaître. La Russie n’a point mis aujourd’hui à son acceptation les réserves derrière lesquelles elle se réfugiait l’an dernier. Sébastopol n’est plus à prendre, et la flotte russe a disparu. Les résultats de la guerre, en ce qui touche la question d’Orient, sont acquis. Ces résultats, il s’agit de les consacrer par un traité, garantie de la sécurité future de l’Europe. C’est à la bonne foi de la Russie d’achever l’œuvre qu’elle a commencée.

Comment le cabinet de Pétersbourg a-t-il été conduit à accepter au dernier instant ce qu’il a tant hésité à sanctionner d’une adhésion sans réserve ? Bien des explications sont possibles sans doute. Que la politique de l’empereur Nicolas ait eu pour son empire de terribles conséquences, cela n’est point douteux, et ces conséquences mêmes ont dû montrer à son successeur ce qu’il y aurait de bien autrement profitable dans une politique qui se tournerait tout entière vers les œuvres de la paix, qui se consacrerait au développement des forces intérieures de la Russie. Cette pensée ne semble point avoir été étrangère à la dernière résolution venue de Saint-Pétersbourg. Personnellement le nouveau tsar a des projets d’améliorations ; son esprit répugne aux persécutions religieuses, et il veut laisser plus de liberté aux cultes dissidens. Il nourrit même le dessein, dit-on, d’aborder enfin la question de l’affranchissement des serfs, — question brûlante qui se lie à tous les intérêts en Russie, qui ne peut être résolue qu’avec une maturité extrême et avec le temps. Il sent aussi tout ce que l’accroissement de l’industrie et du commerce peut donner de puissance à son empire, et il est disposé à fa-