Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chrétienne, au milieu même du secours militaire donné politiquement à la domination turque, pourra seule, en s’appuyant sur les deux grands ressorts des choses humaines, le temps et l’imprévu, résoudre le problème difficile de l’Orient contigu à l’Europe. Ainsi nous verrons s’ouvrir de nouvelles sources d’industrie et de bien-être dans ces contrées si florissantes il y a dix-huit siècles, et trop voisines des nations modernes pour rester plus longtemps stériles et malheureuses. Ce que la Grèce avait fait pour l’Ionie, ce que Rome conserva dans la Grèce asiatique, ces ports de commerce si fréquentés, ces villes magnifiques, ces cultures abondantes et diverses, dont une part affluait dans l’Occident, tout cela ne doit-il pas renaître, si quelque sécurité était rendue à ces beaux climats, et si le génie des arts venait les raviver ?

Un nouveau monde est à nos portes ; il n’est point à découvrir ; il est à féconder par la paix intérieure et le travail. Que la volonté de l’Occident fasse ce qu’elle promet, qu’il y ait pour les populations chrétiennes de l’Asie-Mineure sûreté de la propriété et de la vie, une première transformation commencera. Du golfe de Clazomène aux ruines antiques d’Éphèse, des ruines récentes d’Aïvali aux plaines de Broussa, couronnées par le mont Olympe, quelles colonies indigènes pourraient se rétablir, quelles terres heureuses se renouveler sous la main de l’Europe ! Ce qui, par exception, s’était élevé sur le territoire d’Aïvali, et fut emporté par une rafale de barbarie, cette cité de vingt-cinq mille âmes, industrieuse, lettrée, européenne en Asie, cette Cydonie, détruite il y a trente ans, pourrait reparaître et impunément prospérer dans plus d’un canton arménien ou grec, et l’Occident aurait fait, non pas seulement une guerre politique, sanglante avec gloire, mais une guerre d’humanité, une conquête de civilisation et de richesse au profit du monde.


VILLEMAIN.