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religieux et politiques à réserver pour ces peuples, nous lisons partout ce dispositif accepté maintenant. C’est un point d’honneur pour l’Occident : c’est l’effet inévitable de la présence de ses drapeaux en Orient et de la station prolongée de ses troupes dans les villes musulmanes. Il n’importe pas de savoir précisément si le sultan pourra établir entre tous ses sujets l’égalité des charges et des droits sous toutes les formes, depuis l’impôt jusqu’à la milice. Il est sans doute malaisé de se figurer le souverain de Stamboul et des deux rives du Bosphore s’entourant un jour de troupes formées en majorité de chrétiens indigènes ; mais enfin, sous la haute tutelle de l’Europe occidentale, c’est à ce terme qu’on doit aboutir. Pour ôter sans retour à la Russie ces millions d’auxiliaires secrets qu’on lui suppose dans les provinces de l’empire turc, il suffit de leur montrer clairement que ce n’est pas le schisme grec, mais le christianisme en général qui les protège et leur est ami : il suffit qu’ils sachent que la libération de leur culte ne leur viendra pas d’un changement d’oppresseurs et d’une nouvelle conquête plus habile que celle qui commence à s’user pour eux, mais qu’ils doivent attendre cette libération paisible et complète de l’action préservatrice des puissances mêmes qui protègent la durée nominale de l’empire turc.

Dans cette vue, qu’il serait dangereux de rendre illusoire, loin de blâmer et de rétracter à demi, comme l’entend M. de Lamartine, l’émancipation déjà réalisée d’une portion du peuple grec, il faut, sous une autre forme, étendre et consolider le même fait. Veuillez-le, ne le veuillez pas ; au génie chrétien, aux arts, à la charité, à la foi comme à la science des communions chrétiennes appartient la régénération de l’Orient[1]. Sauvez les germes précieux qui la préparent ; joignez-y l’influence de vos bienfaits, de vos exemples ; ne voyez pas dans les chrétiens de Grèce et d’Asie des co-religionnaires du tsar, mais des frères de l’Europe civilisée que vous pouvez élever jusqu’à vous en leur tendant la main. La première condition pour cela, c’est de leur montrer estime et bon vouloir là où ils sont déjà constitués en état faible, mais indépendant. La France ne peut oublier finalement ce qu’elle a fait pour le royaume de Grèce. Et n’est-il pas d’une bonne politique pour elle d’affermir et d’achever son œuvre en protégeant et en favorisant les Grecs là où ils demeurent sujets d’une domination étrangère longtemps implacable pour eux, et qui ne peut plus vivre maintenant que par l’alliance des peuples civilisés et la protection de la croix qu’elle insultait jadis ?

Ce système de justice et de bienveillance, cette solidarité

  1. On a lu à cet égard de remarquables considérations de M. Saint-Marc Girardin.