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CHARLES DICKENS
SON TALENT ET SES ŒUVRES


Si Dickens était mort, on pourrait faire sa biographie. Le lendemain de l’enterrement d’un homme célèbre, ses amis et ses ennemis se mettent à l’œuvre ; ses camarades de collège racontent dans les journaux ses espiègleries d’enfance ; un autre se rappelle exactement et mot pour mot les conversations qu’il eut avec lui il y a vingt-cinq ans. L’homme d’affaires de la succession dresse la liste des brevets, nominations, dates et chiffres, et révèle aux lecteurs positifs l’espèce de ses placemens et l’histoire de sa fortune ; les arrière-neveux et les petits-cousins publient la description de ses actes de tendresse et le catalogue de ses vertus domestiques. S’il n’y a pas de génie littéraire dans la famille, on choisit un gradué d’Oxford, homme consciencieux, homme docte, qui traite le défunt comme un auteur grec, entasse une infinité de documens, les surcharge d’une infinité de commentaires, couronne le tout d’une infinité de dissertations, et vient dix ans après, un jour de Noël, avec une perruque neuve et des souliers à boucles, offrir à la famille assemblée trois in-quarto de huit cents pages, dont le style léger endormirait un Allemand de Berlin. On l’embrasse les larmes aux yeux ; on le fait asseoir ; il est le plus bel ornement de la fête, et l’on envoie son œuvre à la Revue d’Edimbourg. Celle-ci frémit à la vue de ce présent énorme, et détache un jeune rédacteur intrépide pour composer avec la table des matières une vie telle quelle. Autre avantage des biographie posthumes : le défunt n’est plus là pour démentir le biographe ni le docteur.