Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/620

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des bonnes pratiques ordinaires et des ustensiles de culture perfectionnés, ne donnait aucun profit, elle offrait même des chances à peu près certaines de pertes. Afin de changer cet état de choses, l’administration eut l’idée de recourir à l’obligeance de l’un de nos agriculteurs manufacturiers qui avait fait ses preuves et communiqué avec le plus noble désintéressement à ses confrères les avantages qu’il retirait de diverses innovations dans les procédés et les ustensiles de culture, ainsi que dans l’annexion des établissemens industriels aux exploitations rurales. La société s’adressa donc à M. Decrombecque, ancien maître de poste, fabricant de sucre et cultivateur d’un grand domaine près de Lens (Pas-de-Calais) : elle lui demanda s’il pourrait indiquer un directeur capable d’améliorer la situation de l’entreprise agricole de Bresles.

M. Decrombecque ne pouvait mieux répondre à ce témoignage de confiance qu’en choisissant un de ses employés les plus intelligens et les plus zélés. Ce choix lui était facile, grâce à l’excellente méthode de discipline dont il faisait usage pour bien connaître son personnel et l’intéresser à concourir, chacun dans la mesure de ses forces, à la prospérité des exploitations agricoles et manufacturières de Lens. Cette méthode est bien digne aussi d’être citée comme modèle. M. Decrombecque surveille lui-même très attentivement tous les travaux dans ses fermes et ses fabriques. Il examine comment chacun exécute ses ordres ou suit les conseils qu’il a donnés ; il s’enquiert si quelque changement aurait été spontanément introduit par les ouvriers, et signale en tout cas à leur attention ce qu’il remarque d’utile ou de défavorable. Dans ses visites à des heures différentes, on le voit noter avec soin tout ce qu’il observe ; s’il surprend en faute quelque ouvrier négligent ou malintentionné, il lui suffit de laisser voir qu’il a reconnu le fait. On ne l’entend point adresser de vifs reproches, et l’on ne comprend pas d’abord toute l’influence qu’il exerce d’une manière aussi paisible ; mais lorsqu’on assiste à la paie après l’avoir suivi dans, ses tournées journalières, tout s’explique. À mesure que chaque ouvrier, — homme, femme, enfant, — se présente pour recevoir le prix de son travail, on remarque chez les uns une certaine inquiétude, chez les autres un air de satisfaction, présage de quelque événement heureux, — chez tous, ce jeu des physionomies, indice d’un certain exercice de l’intelligence, et qui contraste avec l’insouciance habituelle des ouvriers qui n’ont rien à espérer au-delà ni à craindre au-dessous du taux uniforme réglé d’avance. C’est qu’effectivement chez M. Decrombecque une telle uniformité n’existe pas dans les salaires : ceux qui ont rendu quelques services exceptionnels sont notés, et leurs efforts utiles, portés en compte, se résument à la fin de la quinzaine en deniers comptans. Il en résulte parmi tout le personnel des fermes et des ateliers une